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ANALYSES.krause. Vorlesungen über Æsthetik.

capital et un des plus difficiles à traiter de cette science. Marquer la ressemblance, pour les écrivains idéalistes, à dater de Platon, a tou « jours été facile, montrer la différence et maintenir la distinction est l’écueil contre lequel l’idéalisme est venu toujours se heurter. Dans un système comme celui de Krause, dont l’auteur a la prétention de séparer les termes, de maintenir leur indépendance dans l’organisme total des idées, la tâche était imposée de faire ressortir la différence comme essentielle, de maintenir l’opposition des termes, avant de chercher à les concilier. La totalité harmonique est à ce prix. Krause, nous regrettons de le dire, semble ne l’avoir pas comprise, du moins n’a-t-il pas traité sérieusement le problème. On est frappé ici de son insuffisance, du vague dans lequel il se tient. C’est à peine s’il se préoccupe des difficultés du problème. On dirait qu’il n’a qu’un objet en vue : montrer l’unité et l’identité des trois idées, Partout les différences s’effacent, l’harmonie seule apparaît, Il est vrai qu’il l’établit par des raisons excellentes ; mais déjà elles avaient été données par Platon, Proclus et Winckemann, etc. On regrette une pareille lacune dans la comparaison des trois idées. On ne voit pas qu’un pas soit fait dans la question, qui reste tout entière à résoudre. Mais, tout en regrettant cette lacune, on ne peut méconnaître la manière élevée dont l’esthéticien allemand établit cette comparaison de la beauté et de la vérité, dont il démontre l’accord nécessaire et fondamental du beau et du bien, qui est aussi la vérité morale dans l’art en particulier. La fermeté avec laquelle est maintenue l’impossibilité d’un désaccord entre la morale et l’art doit être remarquée et lui mérite des éloges, Jamais, dit-il, l’erreur par elle-même ne saurait être belle, le mensonge est toujours laid, l’erreur et la folie ne sont belles que par la vérité qui s’y mêle et y réside. De même, le bien est l’essence de la nature humaine, la loi morale est la loi de l’être libre. Le beau s’étend plus loin que le bien, mais ne saurait jamais le contredire. Deux vérités fondamentales en dérivent : 1o la pure moralité, la vertu par elle-même est belle, car elle est l’unité organique de la vie ; 2o le penchant et la volonté, dirigés vers le beau eux-mêmes, sont bons ; ce sont aussi des devoirs et des vertus.

Quelle est la place, quel est le rang des trois idées dans l’organisme des idées ? La pensée qui paraît se dégager des explications de l’auteur est celle-ci : dans l’ordre logique, l’idée du vrai est la première ; mais, dans l’ordre de prééminence, le bien, qui est le milieu ou le centre (das Güte in die Mitte Gesetz), a le pas sur elle ; le beau s’ajoute à l’une et à l’autre comme propriété essentielle du bien et du vrai. En somme, c’est ce qu’avait dit Platon, Krause en cela ne dépasse guère l’esthétique platonicienne.

Quoi qu’il en soit, la beauté, comme telle, étant une propriété de l’unité organique, suppose l’organisme entier des idées, qui est l’objet de la métaphysique. L’auteur renvoie ici à cette partie fondamentale de son système.