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ANALYSES.krause. Vorlesungen über Æsthetik.

qui constituent son organisme. — 1o L’essence du beau est l’unité. Partout, à tous les degrés, sous toutes les formes où apparaît la beauté, ce caractère se retrouve ; il constitue l’élément premier. Sans lui, il n’y a ni fixité ni continuité : il est la base de toute harmonie et de toute proportion. Beauté en Dieu, beauté de l’esprit, beauté de la nature, beauté divine et humaine, beauté de l’univers physique et moral, beauté individuelle, sociale, etc., il est l’essence ou la loi des existences. — 2o Le second caractère de toute beauté est la liberté, l’existence libre ou indépendante. Les esthéticiens l’admettent comme variété s’ajoutant à l’unité ; mais ils en méconnaissent l’importance et le vrai caractère d’indépendance, d’activité libre. Or il est aussi essentiel à la beauté que le premier, avec lequel il forme une opposition. Il fallait le réintégrer. C’est ce qui fait que la beauté se suffit à elle-même, qu’elle a en elle-même sa raison d’être et sa cause, qu’elle se développe librement. C’est ce qui la distingue en particulier de l’utile, qui est dépendant, comme moyen approprié à une fin, soumis à un but qui lui est étranger. Le beau à son but en lui-même, absolu, non relatif. Il n’a besoin d’aucun terme de comparaison pris hors de lui pas même du laid, comme négation, contraste ou opposition, ni de l’idéal comme opposé au réel. L’idée qui est en lui s’y réalise et s’y manifeste, et voilà tout ; aussi est-il vu, contemplé, objet d’intuition, non de réflexion ou de comparaison. Ce côté du beau, indiqué par Kant, développé par Schiller, implicite plus qu’explicite dans Schelling, Krause a le mérite de le préciser et de le formuler nettement de lui marquer sa place, dans la notion totale et objective, ce qui est un service rendu à la science et que l’on doit reconnaître. — 3o Le troisième caractère, la totalité, est proprement ce qui constitue l’unité organique. Krause y doit insister, on ne s’étonne pas qu’il le fasse. Il ne s’agit pas ici, dit-il, de cette totalité selon laquelle le beau se compose de parties, d’une totalité qui n’est qu’une réunion (Vereingantheit). La totalité ici est celle où le tout contient en soi toutes les parties et les détermine, qui domine l’ensemble et les éléments. C’est ainsi que le corps humain est un tout, une totalité harmonique, un composé de membres dont chacun peut avoir sa beauté isolée, mais qui n’est vraiment beau que par l’harmonie de son ensemble, parce que toutes ses parties sont déterminées, contenues et se développent en raison du tout et de son idée. Or la totalité des parties dont un beau tout ce compose est le trait fondamental. Toutes les parties intérieures comme les extérieures sont déterminées par ce caractère total, comme dans un morceau de musique tous les sons partiels sont déterminés par le son fondamental. Le plus petit son ne doit pas troubler cet accord, s’isoler, se séparer de l’ensemble.

De ces trois caractères réunis se compose la notion même, l’idée objective du beau, son essence (Grundwesen) ; tous les autres caractères en dérivent : symétrie, proportion, harmonie, etc. De là aussi