Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
330
revue philosophique

lui-même l’indique dans un autre de ses ouvrages[1]. Sa pensée générale peut ainsi se résumer.

L’univers est un ensemble d’êtres distincts les uns des autres, réunis entre eux par un lien de réciprocité ou d’harmonie, dont le principe est l’unité suprême, Dieu, l’être des êtres, la substance absolue. Dieu, cause active, vivante et libre d’où émanent toutes les existences, contient en lui-même toutes les essences, ou unités essentielles, les essentialités (Wesenheiten), comme s’exprime Krause dans sa langue. Il appelle essences ou essentialités les idées primitives, types, modèles ou archétypes dans le sens de Platon. De Dieu, principe ou modèle primitif (Urbild) elles passent dans le monde, l’univers physique et moral, où elles répandent l’harmonie. Ces types, archétypes ou modèles sont aussi des puissances, des virtualités, des forces, comme Schelling les nomme et les emploie. La beauté est une de ces essences premières et fondamentales. Comme le vrai, comme le bien, le beau qui d’abord est Dieu ou un de ses attributs, passe dans la nature, où tout est beau parce que tout est harmonique ou organique ; il se réalise dans le monde moral ou de l’esprit, dans la vie humaine, dans la vie réelle de l’individu, de la société, de l’humanité. Il y est à tous les degrés et, sous les formes les plus diverses. À la vie réelle s’ajoute la vie de l’imagination, qui crée et réalise le beau dans les œuvres de Part et des beaux-arts. La science du beau fait donc partie intégrante de la science universelle. Elle est une fonction, un organe spécial dans son organisme, de même que l’art a sa fonction propre dans l’organisme de la vie universelle de l’individu et de l’humanité.

Ces préliminaires nous mettent à même de comprendre la doctrine contenue dans ces leçons dont nous avons à présenter l’analyse.

II. L’esthétique de Krause se divise en deux parties, liées entre elles par un rapport interne et nécessaire : 1o la théorie de la beauté ; 2o la science de l’art.

Dans la première, Krause commence par la détermination subjective de l’idée du beau. Sur les pas de Kant, il étudie le beau dans ses rapport avec l’intelligence, la faculté représentative, avec le sentiment et l’activité. Envisagé ainsi, le beau se définit ce qui est immédiatement perçu par intuition, ce qui excite dans l’âme un plaisir désintéressé, et ce qui provoque le jeu libre des facultés de l’esprit (freie Thätigkeit). La définition est celle-ci : « Est beau ce qui remplit l’âme d’une satisfaction désintéressée, ce qui met en jeu l’activité libre, ce qui est l’objet d’un amour pur, sans désir. »

Il s’agit, en second lieu, de déterminer l’idée objective de la beauté. Or la beauté, selon Krause, envisagée en soi dans sa nature objective, comme essentialité, a trois caractères essentiels qui la constituent ; ce sont : 1o l’unité ; 2o l’indépendance ou la liberté (Selbständigkeit) ; 3o la totalité. Ces trois caractères sont comme les moments et les membres

  1. Vorlesungen über die Grundwahrheiten der Wissenschaten, p. 154 et suiv.