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ANALYSES.krause. Vorlesungen über Æsthetik.

à Kant, à Jacobi, à Fichte, etc., peut être considéré, par rapport à celui de Schelling, à la fois comme une continuation et une réaction. Le but que l’auteur se propose est d’échapper aux deux extrêmes opposés de la philosophie en général et qu’offrent les derniers systèmes, au monisme d’une part, qui est ici le panthéisme et où disparaît la pluralité dans l’absolu de la substance unique, et d’autre part au matérialisme et à l’atomisme, où la pluralité sans unité rend impossible d’expliquer l’accord ou l’harmonie des choses. Ainsi, dans le système de Schelling, ou de l’identité absolue, l’individualité, la personnalité, la liberté disparaissent. Le subjectivisme de Kant, où l’être en soi reste inaccessible à la pensée objective, ne compromet pas moins, s’il ne la supprime tout à fait, l’unité, la substantialité. L’un des deux termes étant sans cesse sacrifié à l’autre, Krause entreprend de les réintégrer, Il le fait au moyen d’une conception supérieure, qui laisse à chacun son existence réelle, tout en montrant le lien qui les réunit et les harmonise. Rétablir les deux termes et les concilier, lever l’opposition, l’antithèse qui se dresse à la suite des antinomies kantiennes, tel est le problème qu’il essaye de résoudre et dont il croit avoir trouvé la solution.

Ce problème, comment le résout-il ? L’idée fondamentale peut se formuler en un seul mot, qui est la devise du système : l’organisme universel ou le panharmonisme.

Cette idée d’organisme empruntée aux sciences naturelles, c’est en effet, celle d’un tout ou d’un ensemble de parties dont chacune conserve son existence propre, indépendante et libre, mais qui est liée aux autres parties par un rapport de réciprocité ou de mutualité, rapport qui a lui-même son principe dans un terme plus élevé contenant à la fois le tout et les parties, unité supérieure qui les détermine, base et raison de cette harmonie. C’est cette harmonie universelle que poursuit partout Krause dans l’ensemble et dans tous les détails de son système. Organisme, organiser, organisation, lien harmonique, unité organique, ces mots reviennent à chaque page, presqu’à chaque ligne de ses écrits. C’est le fond de sa langue et de sa terminologie. On le retrouve également dans son esthétique.

Comment cette idée s’applique-t-elle aux autres parties de sa philosophie ? Nous n’avons pas à l’examiner. En métaphysique, c’est le panenthéisme substitué au panthéisme (All in Gott). L’univers est en Dieu, sans que Dieu se confonde avec l’univers ; avec l’immanence est maintenue la distinction réelle. Dans ia philosophie pratique, la morale, le droit naturel, la science sociale et la politique, Krause cherche à établir la conciliation des termes opposés, du devoir avec l’intérêt, de la liberté avec la nécessité, des droits de l’individu avec ceux de l’État, de la propriété avec la solidarité. Il aboutit à une sorte de socialisme mais qui se distingue du socialisme vulgaire en ce que jamais la liberté et les droits de l’individu n’y sont sacrifiés à la toute puissance de l’État. Toujours et partout est maintenue l’harmonie des contraires.

Quelle place occupe la science du beau dans ce système ? L’auteur