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valeur morale de la science, sur l’indépendance du caractère, sur la dignité du travail. L’interprète de la morale chrétienne cherche à combattre cette superbe diabolique dont parle Pascal, recommande la résignation devant les décrets de la Providence, fait voir dans le travail « une loi de châtiment ». Sans doute toute attaque directe contre les dogmes est interdite à l’école au nom de la neutralité religieuse, mais il y a telle théorie philosophique sur la responsabilité, sur la justice distributive où l’on peut supposer par voie de conséquences une négation indirecte de tel ou tel article de foi.

On se trompe si l’on croit, comme on y est souvent porté, que tout le monde est d’accord dans le domaine de la pratique et que les controverses n’ont lieu qu’au sujet des principes. Il y a toute une catégorie de règles de conduite, très nécessaires au perfectionnement individuel et à la paix de la société, qui sont loin d’être encore universellement reconnues par tous les hommes de notre pays et de notre époque. Elles sont les conquêtes les plus récentes de la réflexion philosophique appliquée aux vérités morales : ce sont celles-là précisément qu’il importe le plus de faire pénétrer dans les âmes pour fixer les progrès accomplis. Un orateur israélite dont M. Beaussire nous rapporte les paroles disait récemment au parlement hollandais : « Les vertus chrétiennes sont les principes qui doivent guider l’homme dans la vie, à quelque religion qu’il appartienne. Aussi longtemps que la vertu sera l’objet de la morale, aussi longtemps que la culture des vertus signifiera enseignement de cette morale que le christianisme manifeste et qu’il porte au fond de lui-même, tous nous pouvons accepter cet enseignement, à quelque culte que nous appartenions. » Voilà qui est bien, mais il resterait à définir les vertus chrétiennes ; or, si l’expression a un sens précis et désigne les vertus que le christianisme a répandues dans le monde, telles que la bienfaisance, la pureté, l’humilité, elle a aussi un sens large et recouvre des conceptions fort différentes de la moralité même parmi les croyants. Les vertus chrétiennes de Pascal n’étaient pas celles de ses adversaires, et l’idéal de la perfection pour Fénelon n’était pas le même que pour Bossuet. Celui-ci, qui déclarait l’esclavage « un état juste et raisonnable », d’accord avec saint Ambroise, qui y voyait « un don de Dieu », ne se serait pas entendu avec Channing ; et, quand il approuvait la révocation de l’édit de Nantes, il eût été même désavoué par l’auteur du Manuel chrétien d’enseignement civique, où nous trouvons des conseils de tolérance : « La révocation, y est-il dit, fut suivie d’une répression dure qui n’est pas selon les principes de l’Évangile. On. oublia que saint Paul l’a proclamé : « la foi ne doit venir que de la persuasion. » Au contraire, M. Arth. Loth déclare que la tolérance « est un écart des voies du bien. » En 1806 « l’amour, le respect, l’obéissance, la fidélité à l’égard de l’Empereur et de sa famille » étaient recommandés comme un corollaire du précepte du Décalogue : « Tes père et mère honoreras. » « Honorer et servir » Napoléon, c’était considéré comme une vertu chrétienne, puisque le catéchisme l’enseignait. Com-