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ANALYSES.tielle. Anciennes religions, etc.

nouvelle existence nationale demandait un nouveau dieu national.

Cette vue est fort originale et ne manquera pas de provoquer la réflexion. A-t-elle chance de prévaloir ? J’en doute fort, car M. Tiele me semble, en ce point, avoir été au delà de ce que fournissent les documents, interprétés par une sévère critique. Il me paraît même qu’il n’a pas su échapper à l’obsession de la vieille tradition, d’après laquelle Moïse est le créateur d’un système arrêté de dogme et de législation et s’est donné pour tâche d’exposer ledit système à ses concitoyens. Sous quelque forme qu’on la présente aujourd’hui, fût-ce avec les atténuations du savant hollandais, nous tenons cette vue pour condamnée. La preuve que nous avons bien compris la pensée du nouvel historien des origines hébraïques et que nous ne lui faisons point tort, c’est une déclaration telle que celle-ci, que nous rencontrons un peu plus loin : « C’est la gloire de Moïse d’avoir fait un peuple, une nation, d’un ramassis de pauvres esclaves démoralisés par leur servitude même, de les avoir mûris pour l’indépendance à la rude, mais salutaire école de la vie du désert et, en même temps, de leur avoir donné, pour leur dieu national, le plus élevé des dieux de la nature. »

I serait fort intéressant de voir comment le yahvisme — ou religion de Yahvéh — parti du point d’origine que lui assigne M. Tiele, a prévalu de plus en plus au sein du peuple israélite, en dépit de bien des obstacles. Mais cette étude nous entraînerait au delà des bornes qui conviennent à ce compte rendu. D’autre part, il ne vaudrait pas moins la peine de montrer comment Yahvéh, plongeant encore par ses racines dans la nature physique, revêt, au cours des siècles, le caractère le plus élevé et le plus pur : il devient, dans la bouche des prophètes, l’idéal personnifié de la justice et de la sainteté. Sur ce point encore, nous nous bornons à indiquer le résultat atteint par M. Tiele.

C’est le lieu, en terminant cette analyse naturellement sommaire, de revenir sur une question dont nous nous sommes réservé de dire notre sentiment, Le livre de M. Tiele est intitulé : Histoire comparée des anciennes religions de l’Égypte et des peuples sémitiques et M. Réville, dans la préface qu’il a mise en tête de l’œuvre, déclare que, sans avoir le caractère définitif qu’exclut la nature de ses matériaux, constamment accrus par les recherches, sans être non plus exempte de conjectures là où les faits connus ne permettent pas encore une démonstration rigoureuse, elle répond cependant à son titre en présentant un cadre solide, où la loi de la continuité et de l’évolution trouve sa confirmation. J’avoue, qu’après avoir lu d’un bout à l’autre le volume, je ne saurais être aussi affirmatif. Non seulement l’auteur est contraint d’avouer que, pour telle de ses parties (la Babylonie et l’Assyrie), les matériaux qu’il a réunis ne lui permettent pas de retracer une véritable histoire ; mais, pour les points même où il a cru pouvoir le faire, il me semble fort douteux qu’il ait justifié son propos. En ce qui touche la religion phénicienne, la chose ne me paraît guère contestable ; pour l’Égypte, il y avait plus de chances de réussir, puisque la chronologie de ce pays nous fournit