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matérialiste des cultes de la nature, favorisa cet effort. » Toutefois, sur un même fond religieux, les Israélites devaient s’élever singulièrement plus haut.

Si singulier que cela puisse paraître, la portion de l’Histoire comparée, consacrée aux Hébreux, nous a paru la plus neuve, en même temps qu’elle est la plus vivante. Il ne faut pas se le dissimuler en effet : il n’était guère possible de tracer un tableau animé de l’évolution religieuse en Égypte, à Babylone, en Phénicie, avec les renseignements que nous possédons. Rassembler, analyser, discuter, grouper ces renseignements dans un ordre méthodique, c’est la tâche dont M. Tiele s’est acquitté avec autant de compétence que de conscience ; il semble, en revanche, qu’en passant sur le terrain de l’histoire religieuse des Israélites, il ait marché d’un pas plus allègre sur un terrain mieux exploré, où il apporte une série de vues originales. C’est d’ailleurs le seul exposé un peu large que nous possédions du sujet dans notre langue depuis son renouvellement par les travaux récents de la critique. Et non seulement cet exposé est large, mais il est remarquablement nourri, et l’on y trouvera la réponse à toutes les questions soulevées au cours des dernières années, — Je relèverai seulement quelques idées particulières à l’auteur.

D’après M. Tiele, le dieu des Israélites, Yahvéh (Jéhovah), a été à l’origine un dieu de la nature, se manifestant ordinairement par l’orage avec les phénomènes divers qui accompagnent. Le feu et la lumière sont ses attributs constants. « Il fut, dans le principe, le dieu caché dans le ciel visible, le plus élevé des dieux de la nature considéré comme la cause de tous les phénomènes célestes, comme la source et le principe de la vie répandue dans l’Univers. » D’où vient le culte de cette divinité ? De qui les Israélites l’ont-ils reçu ? Où ont-ils appris à connaître Yahvéh ? Comment est-il devenu leur dieu national ? — Ils ne l’ont point pris à l’Égypte. Il serait plus vraisemblable d’y voir une divinité cananéenne adoptée par les conquérants de la Palestine. M. Tiele expose et combat cette seconde manière de voir. Pour lui, le yahvisme et Moïse sont inséparables ; mais Moïse n’a connu le dieu Yahvéh que par la famille de sa femme, chez les Kénites habitant le désert et la montagne de la presqu’île sinaïtique, avant la sortie d’Égypte. Yahvéh a donc été le dieu de la petite peuplade des Kénites, plus tard incorporée à Israël, avant de devenir le dieu des Hébreux. Moïse a fait « du dieu qu’il avait appris à connaître et à adorer dans le désert, le dieu protecteur du peuple qu’il réunit et qui lui dut son premier caractère national. Ce n’est qu’à ce titre qu’on peut l’appeler réformateur ou fondateur de religion. Il fut, à proprement parler, ce qu’on appellerait aujourd’hui un homme d’État. Or l’homme d’État à cette époque, le fondateur d’une unité nationale, devait avant tout donner à son œuvre la garantie d’une religion commune. Moïse choisit à cet effet sa propre région et put être guidé dans son choix par la conviction qu’elle était plus pure que celle que les Israélites avaient suivie jusqu’alors. Une