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lechalas. — l’œuvre scientifique de malebranche

ne saurions admettre avec lui que ces impressions musculaires constituent le souvenir même du son, attendu qu’il n’y a aucun rapport entre la sensation de son et la sensation d’une contraction du larynx et que sa théorie laisse inexplicable le souvenir des sons que nous ne pouvons produire, nous ne nous trouvons pas moins en présence d’une modification périphérique évidemment secondaire : on peut donc très bien admettre que, dans l’expérience invoquée par Bain, la modification périphérique du nerf optique est provoquée par des contractions musculaires.

Mais c’est trop nous arrêter sur des questions secondaires, et il nous faut, pour terminer notre étude, parler des habitudes. Malebranche en commence l’examen par l’exposé de la théorie des mouvements volontaires que nous avons précédemment résumée, puis il poursuit en ces termes :

« Afin de suivre notre explication, il faut remarquer que les esprits ne trouvent pas toujours les chemins par où ils doivent passer assez ouverts et assez libres, et que cela fait que nous avons, par exemple, de la difficulté à remuer les doigts avec la vitesse qui est nécessaire pour jouer des instruments de musique, ou les muscles qui servent à la prononciation pour prononcer les mots d’une langue étrangère ; mais que peu à peu les esprits animaux, par leur cours continuel, ouvrent et aplanissent ces chemins, en sorte qu’avec le temps ils n’y trouvent plus de résistance. Or, c’est dans cette facilité que les esprits animaux ont de passer dans les membres de notre corps, que consistent les habitudes.

« Il est très facile, selon cette explication, de résoudre une infinité de questions qui regardent les habitudes comme, par exemple, pourquoi les enfants sont plus capables d’acquérir de nouvelles habitudes que les personnes plus âgées ; pourquoi il est très difficile de perdre de vieilles habitudes ; pourquoi les hommes, à force de parler, ont acquis une si grande facilité à cela, qu’ils prononcent leurs paroles avec une vitesse incroyable, et même sans y penser, comme il n’arrive que trop souvent à ceux qui disent des prières qu’ils sont accoutumés de faire depuis plusieurs années. Cependant, pour produire un seul mot, il faut remuer dans un certain temps et dans un certain ordre plusieurs muscles à la fois, comme ceux de la langue, des lèvres, du gosier et du diaphragme. Mais on pourra, avec un peu de méditation, se satisfaire sur ces questions et sur plusieurs autres très curieuses et assez utiles, et il n’est pas nécessaire de s’y arrêter.

« Il est visible, par ce que l’on vient de dire, qu’il y a beaucoup de rapport entre la mémoire et les habitudes, et qu’en un sens la mémoire peut passer pour une espèce d’habitude. Car, de même que les habitudes corporelles consistent dans la facilité que les esprits ont acquise de passer par certains endroits de notre corps, ainsi la mémoire consiste dans les traces que les mêmes esprits ont imprimées dans le cer-