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lechalas. — l’œuvre scientifique de malebranche

mettre sur la voie de la théorie des points de repère, grâce à celle des associations entre les éléments cérébraux modifiés. On n’y trouve rien qui ressemble à la théorie de M. Ribot sur la régression par laquelle on passerait sans discontinuité d’un état de conscience à l’état immédiatement antérieur.

Pour achever l’étude de la mémoire proprement dite et avant d’aborder celle des habitudes, nous mentionnerons deux détails, relatifs au rôle de la nutrition dans la mémoire et à la pluralité des mémoires. Malebranche sait que la modification cérébrale est produite non dans une matière inerte, comme le cachet imprimé dans la cire, mais dans une matière vivante, qui se renouvelle incessamment ; il ne mentionne d’ailleurs ce fait qu’à l’occasion des transformations que peut éprouver la matière cérébrale :

« Toutes les parties des corps vivants, dit-il, sont dans un mouvement continuel, les parties solides et les fluides, la chair aussi bien que le sang ; il y a seulement cette différence entre le mouvement des unes et des autres, que celui des parties du sang est visible et sensible, et que celui des fibres de notre chair est tout à fait imperceptible. Il y a donc cette différence entre les esprits animaux et la substance du cerveau que les esprits animaux sont très agités et très fluides, et que la substance du cerveau a quelque solidité et quelque consistance ; de sorte que les esprits se divisent en petites parties et se dissipent en peu d’heures, en transpirant par les pores des vaisseaux qui les contiennent et il en vient souvent d’autres en leur place qui ne leur sont point du tout semblables. Mais les fibres du cerveau ne sont pas si faciles à se dissiper ; il ne leur arrive pas souvent des changements considérables, et toute leur substance ne peut changer qu’après plusieurs années[1]. »

Du moment qu’on n’envisage pas la mémoire comme une faculté purement spirituelle, mais qu’on la regarde comme ayant pour base des modifications d’une matière étendue, modifications produites par des organismes multiples, on est naturellement amené à distinguer autant de mémoires qu’il y a d’organismes modificateurs, car à côté des conditions physiologiques générales influant à la fois sur toutes les mémoires, la vivacité des fonctions de chacun de ces organismes influera nécessairement sur la mémoire correspondante, sans compter que les modifications répondant à chacun d’eux peuvent se trouver dans des parties différentes du cerveau. Sans nous efforcer de découvrir dans l’œuvre de Malebranche quelque indication de ce genre, nous constaterons que ces considérations ne sont qu’un développement rationnel de sa conception de la mémoire. Maïs, nous ob-

  1. Livre II, 1re partie, chap.  vi.