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que par les autres endroits du cerveau : c’est là la cause de la mémoire et des habitudes corporelles qui nous sont communes avec les bêtes. »

Malebranche distingue aussi très nettement ces liaisons ou associations des liaisons naturelles ou innées.

« Mais il y a dans notre cerveau, dit-il, des traces qui sont liées naturellement les unes avec les autres, parce que cela est nécessaire à la conservation de la vie. Cette liaison ne change jamais… et elle consiste dans une disposition des fibres du cerveau que nous avons dès notre naissance[1]. »

Remplacez dans ces citations les expressions empruntées aux hypothèses en honneur au xviie siècle par l’énoncé pur et simple des faits positifs connus de Malebranche, et vous aurez une théorie très précise des associations dynamiques.

Voilà donc parfaitement reconnus les deux éléments de la conservation  : comment la reproduction des souvenirs se réalisera-t-elle ? par le cours des esprits animaux, c’est-à-dire par la circulation du sang, puisque les esprits n’en sont que la partie la plus subtile. Dès lors cette reproduction dépendra de la quantité et de la qualité de ces esprits. Aussi Malebranche s’étend il longuement sur les diverses modifications qu’ils peuvent subir : il y a là évidemment bien des erreurs, mais le principe de la discussion n’en est pas moins très juste, et on y rencontre des aperçus qui sont loin d’être sans valeur. Malebranche consacre trois chapitres successifs à l’étude de l’influence des aliments, de l’air et des diverses parties du système nerveux sur les esprits animaux ; dans le premier, il note l’alanguissement produit, surtout chez les vieillards, par la digestion qui, dit-il, fait pénétrer de nouveaux éléments dans le sang par l’intermédiaire du chyle ; il fait remarquer la vivacité que donne le vin à l’esprit, quand on en prend avec modération, et l’abrutissement que son excès produit. L’action excitante de la fièvre sur les fonctions cérébrales ne lui a point échappé d’ailleurs, et il l’a signalée dans le chapitre précédent : Ii attribue, d’autre part, une grande influence à l’air que nous respirons et lui fait jouer un rôle, sans doute exagéré, dans les différents caractères d’esprit des habitants des divers pays. Enfin il discute l’action des nerfs, notamment de ceux qui réagissent sur les mouvements du cœur.

Reste le troisième facteur de la mémoire, la reconnaissance ou la localisation dans le temps. Ici, nous devons l’avouer, nous ne trouvons rien de bien net dans l’œuvre de Malebranche : elle ne peut que

  1. Livre II, 1re partie, chap. v.