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lechalas. — l’œuvre scientifique de malebranche

même ridicule, ainsi qu’il arrive toujours quand on s’appuie sur une hypothèse tombée en discrédit, alors surtout qu’on emploie des expressions aussi malheureuses que celle d’esprits animaux. Mais cela ne veut pas dire que ces considérations soient devenues sans valeur, car il peut se faire (et c’est le cas dans l’espèce) que l’hypothèse inexacte ne serve que d’enveloppe à des propositions parfaitement exactes. Il suffit alors de substituer à ce langage artificiel l’énoncé pur et simple des faits positifs pour voir s’opérer une véritable transfiguration : la pierre précieuse, débarrassée de sa gangue, apparaît dans tout son éclat.

Au risque d’être un peu long, nous reproduirons les principaux passages de la Recherche de la Vérité sur lesquels s’appuie l’exposé qui précède.

« Je suppose qu’on sache l’anatomie des organes des sens, et qu’ils sont composés de petits filets qui ont leur origine dans le milieu du cerveau ; qu’ils se répandent dans tous nos membres où il y a du sentiment, et qu’ils viennent enfin aboutir, sans aucune interruption, jusqu’aux parties extérieures du corps ; que, pendant que l’on veille et que l’on est en santé, on ne peut en remuer un bout que l’autre ne se remue en même temps, à cause qu’ils sont toujours un peu bandés par les esprits animaux qu’ils contiennent[1]  ; de même qu’il arrive à une corde bandée, de laquelle on ne peut remuer une partie sans que l’autre soit ébranlée.

« Il y a bien de l’apparence que les filets des nerfs sont creux comme de petits canaux et exactement remplis d’esprits animaux, surtout lorsqu’on veille ; et que quand l’extrémité de ces filets est ébranlée, les esprits qui y sont contenus transmettent jusqu’au cerveau les mêmes vibrations qu’ils reçoivent du dehors. Mais que ce soit par les mêmes vibrations des esprits animaux ou par les secousses des nerfs, continuées jusqu’au cerveau, que l’action des objets s’y communique, il n’est pas nécessaire maintenant de l’examiner : il suffit de savoir qu’elle s’y communique de l’une ou l’autre manière, ou de l’une et de l’autre conjointement.

« Il faut aussi savoir que ces filets peuvent être remués en deux manières, ou bien par le bout qui est hors du cerveau, ou par le bout qui est dans le cerveau. Si ces filets sont agités au dehors par l’action des objets et que leur agitation ne se communique point jusqu’au cerveau, comme il arrive dans le sommeil, l’âme n’en reçoit, pour lors, aucune sensation nouvelle, Mais si ces petits filets sont remués dans le cerveau par le cours des esprits animaux, ou par quelque autre cause, l’âme aperçoit quelque chose, quoique les parties de ces filets qui sont hors du

  1. « Les esprits animaux ne sont que les parties les plus subtiles et les plus agitées du sang. » (livre II, 1re partie, chap. ii),