Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
302
revue philosophique

II

Après avoir vu Malebranche se livrer à des études purement scientifiques, nous allons le voir, unissant de la manière la plus heureuse la philosophie et la science, donner une théorie de la mémoire que l’on peut regarder comme une ébauche parfaitement reconnaissable des théories les plus récentes. Comme expression la plus précise de ces théories, nous prendrons l’ouvrage sur les Maladies de la mémoire de M. Ribot. Comme on le sait, en effet, ce titre couvre une théorie véritable de la mémoire, et sa particularisation a seulement pour but de désigner le mode d’investigation qui y est plus spécialement suivi. M. Paul Janet a signalé déjà, dans le journal le Temps, que sous son apparence surannée la théorie de Malebranche est en réalité très voisine des théories contemporaines ; mais nous ne croyons pas qu’il ait développé cette affirmation, et il nous paraît intéressant de faire ressortir combien les véritables maîtres du spiritualisme ont été en réalité les initiateurs des études psycho-physiologiques, comme ils l’ont été de toute la physique moderne, ainsi que l’a si magistralement établi M. Ernest Naville. Qu’il nous soit donc permis de revendiquer comme un honneur, pour Malebranche et Descartes, d’avoir indiqué la voie où la philosophie scientifique a fait de nos jours de si belles découvertes. Ce n’est pas sans intention, que nous citons le nom de Descartes, car, à vrai dire, Malebranche, lui a emprunté sa théorie de la mémoire ; seulement il l’a exposée d’une façon plus régulière, plus développée et plus heureuse que son maître.

Rappelons d’abord brièvement à quels résultats principaux est arrivé M. Ribot. Selon lui, la mémoire doit être entendue dans un sens beaucoup plus large qu’elle ne l’est habituellement. Dans l’acception courante du mot, la mémoire comprend trois choses : la conservation de certains états, leur reproduction, leur localisation dans le passé. Les deux premiers éléments sont indispensables, mais le dernier ne fait que compléter la mémoire. Écartant d’abord cet élément psychique, M. Ribot étudie comment un état nouveau s’implante dans l’organisation, se conserve et se reproduit. Il trouve le type de la mémoire organique dans les actions automatiques secondaires, par opposition aux actes automatiques primitifs ou innés : tels sont la locomotion, chez l’homme, l’apprentissage d’un métier manuel, les jeux d’adresse, les divers exercices du corps. Par la répétition des mêmes actes, on arrive à former, dans les éléments nerveux corres-