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lechalas. — l’œuvre scientifique de malebranche

leurs. L’intérêt n’est pas dans la discussion, car elle soulèverait bien des réserves, mais dans le fait même du contrôle d’une théorie par son application à un phénomène qui n’a pas servi à l’établir. Malebranche réunit donc de la façon la plus caractéristique les trois opérations qui résument la vraie méthode : l’observation, l’hypothèse, la vérification[1].

On le voit, du reste, observer constamment avec le plus grand soin : nous n’en citerons que deux exemples. Dans une étude sur la génération du feu qui fait suite au mémoire sur les couleurs, après avoir dit que, selon Descartes, lorsqu’on bat le fusil, chaque étincelle provient d’une petite partie du caillou qui se trouve détachée, Malebranche fait incidemment cette remarque :

« Je croirais que c’est plutôt la partie arrachée de l’acier qui s’allume, car lorsqu’on regarde avec le microscope les étincelles de feu qu’on a ramassées, l’on voit que c’est l’acier qui a été fondu et réduit, ou en boules ou en petits serpenteaux ; et je n’ai point remarqué qu’il y eût de changements dans les petits éclats détachés du caillou. »

Voici maintenant un autre exemple : au VIe livre de la Recherche de la vérité, on lit ce résumé impersonnel d’une expérience :

« Un homme veut découvrir la nature d’un poulet : pour cela, il ouvre tous les jours des œufs qu’il a mis couver ; il y examine ce qui se meut et ce qui croît le premier ; il voit bientôt que le cœur commence à battre et à pousser de tous côtés des canaux de sang qui sont les artères, que ce sang retourne vers le cœur par les veines, que le cerveau parait aussi d’abord, et que les os sont les dernières parties qui se forment. »

Eh bien ! l’homme dont parle Malebranche est lui-même, ainsi que nous l’apprend, dans une de ses lettres, le P. Daniel, Récollet, lettre qui nous montre en outre que le grand oratorien employait une couveuse artificielle : « Le R. P. de Malebranche, dit Daniel, m’a fait l’honneur de m’écrire qu’il a présentement un fourneau où il met couver des œufs, et qu’il en a déjà ouvert dans lesquels il a vu le cœur formé et battant avec quelques artères. »

  1. Ernest Naville, la Logique de l’hypothèse.