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établissant une différence si nette entre les propriétés des diverses couleurs, pour arriver à savoir dans quel ordre elles se succèdent, lorsque diminue la promptitude des vibrations. S’appuyant sur une théorie d’ailleurs inexacte de la réfraction, il arriva à cette conclusion, conforme à la réalité, que les rayons violets répondent au plus grand nombre de vibrations dans l’unité de temps, et que ce nombre décroît successivement, suivant l’ordre des couleurs du spectre solaire : violet, indigo ; bleu, vert, jaune, orangé, rouge[1].

Voyons enfin de quelle façon Malebranche explique les colorations qui paraissent revêtir les corps. On trouve à ce sujet, dans ses œuvres, deux opinions successives : dans le mémoire de 1699, ne connaissant pas encore le phénomène de la décomposition de la lumière solaire par le prisme, il suppose que les corps jouissent de la propriété de réfléchir la lumière en modifiant la promptitude de ses vibrations :

« Si le corps M, dit-il, est tel que la matière subtile réfléchie ait ses vibrations moins promptes dans certains degrés, que je ne crois pas qu’on puisse déterminer exactement, on aura quelqu’une des couleurs qu’on appelle primitives, le jaune, le rouge, le bleu, si toutes les parties du corps M diminuent également les vibrations que cause la flamme dans la matière subtile, et l’on verra toutes les autres couleurs qui se font par le mélange des primitives, selon que les parties du corps M diminueront inégalement la promptitude des vibrations de la lumière. »

Cette théorie de la transformation des vibrations est inexacte en général et ne s’applique avec vérité qu’aux corps dits fluorescents. Malebranche reconnut son erreur lorsqu’il sut que la lumière blanche résulte du mélange de toutes les couleurs ; il comprit alors

    quelle il parle des vibrations provoquées dans les nerfs optiques : « Des rayons de différentes espèces ne produisent-ils pas des vibrations de différentes grandeurs, lesquelles vibrations excitent, selon leurs grandeurs, des sensations de différentes couleurs, à peu près de la même manière que les vibrations de l’air causent, selon leurs différentes grandeurs, des sensations de différents sons ? Et en particulier les rayons les plus réfrangibles ne produisent-ils pas les plus courtes vibrations pour exciter la sensation d’un violet foncé ; les moins réfrangibles, les vibrations les plus étendues pour causer la sensation d’un rouge foncé ; et les différentes espèces de rayons intermédiates, les vibrations de différentes grandeurs intermédiates pour exciter les sensations des différentes couleurs intermédiates ? » Newton ne voit les vibrations que dans les nerfs et le cerveau au lieu de les voir dans l’éther : à cela près, il est absolument d’accord avec Malebranche. Nous ne savons s’il avait eu connaissance du mémoire de 1699 ; on pourrait toutefois citer comme indice le fait qu’Addison, écrivant cette année-là à l’évêque de Lichfield et Coventry, lui parle de l’ingénieuse hypothèse de Malebranche sur les couleurs (Penjon, Berkeley, p. 162).

  1. Recherche de la vérité (édition de 1722) : Éclaircissements, p. 361.