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lechalas. — l’œuvre scientifique de malebranche

primitivement des vibrations plus ou moins promptes de la matière subtile qui compriment la rétine[1]. »

Dès que l’on a admis que la variété des couleurs dépend de la promptitude des vibrations de l’éther, on se demande naturellement quel est l’ordre suivant lequel se succèdent les couleurs, lorsque cette promptitude diminue, et même quel est le nombre de vibrations dans l’unité de temps qui répond à chacune d’elles. Malebranche cherche à résoudre la première question : il n’espère pas qu’on puisse répondre à la seconde. Dans le mémoire présenté à l’Académie des sciences, il a recours à un phénomène peu précis, qui ne l’amène pas à un résultat satisfaisant ; mais nous croyons devoir rapporter le passage qui y est relatif, parce qu’on y trouve une idée assez originale :

« Lorsqu’on a regardé le soleil, dit Malebranche, et que le nerf optique a été fort ébranlé par l’éclat de sa lumière, à cause que les fibres de ce nerf sont situées au foyer des humeurs transparentes de l’œil, alors si l’on ferme les yeux ou si l’on entre dans un lieu obscur, l’’ébranlement du nerf optique ne changera que du plus au moins. Cependant, on verra différentes couleurs : du blanc d’abord, du jaune, du rouge, du bleu, et quelques-unes de celles qui se font par le mélange des primitives, et enfin du noir. D’où l’on peut conclure que les vibrations de la rétine, très promptes d’abord, deviennent peu à peu plus lentes. Car, encore une fois, ce n’est pas la grandeur ou la force de ces vibrations, mais leur promptitude qui change l’espèce des couleurs, puisque le rouge, par exemple, paraît rouge à une faible aussi bien qu’à une grande lumière.

« On pourrait donc peut-être juger par la suite de ces couleurs, si elle était bien constante, que les vibrations du jaune sont plus promptes que celles du rouge, et celles du rouge que du bleu, et ainsi des autres couleurs qui se succèdent. Mais il me paraît impossible de découvrir précisément, par ce moyen, ni même par aucun autre, les rapports exacts de promptitude de ces vibrations, comme on les a découverts dans les consonnances de la musique. On ne peut sur cela que deviner et aller au vraisemblable. »

Ainsi parlait Malebranche en 1699. Ayant eu ensuite connaissance des expériences de Newton sur la décomposition de la lumière blanche par le prisme[2], il songea à tirer parti d’un phénomène

  1. Voir les lettres des 2 et 6 juin 1764 à une princesse d’Allemagne, où Euler développe des considérations tout à fait analogues.
  2. Nous devons ici signaler combien Newton a approché, en même temps que Malebranche, de la vraie théorie des couleurs. On sait qu’il a placé, à la fin de son Optique publiée en 1704, une série de questions où il indique ses conceptions hypothétiques sur une foule de points ; or voici la treizième question, dans la-