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temps, l’univers serait mort. Néanmoins, bien qu’immuable, il ne serait pas immobile ; la force qu’il contenait à sa naissance s’y retrouverait tout entière sous forme de mouvements moléculaires parfaitement équilibrés. Ce qui aurait disparu, ce serait uniquement le défaut d’équilibre, la différence entre les mouvements et, avec elle, la possibilité du changement, et non le mouvement en lui-même. Mais nous savons que l’immobilité finale est un terme inaccessible.

L’exercice de la vie — ce mot étant pris dans son sens le plus général — précipite aussi l’instable en stable, le vivant en mort. Or, si du mort le vivant ne pouvait sortir, si le mort différait essentiellement du vivant, s’il en était la négation absolue, il y aurait, quand l evivant meurt, non un changement, maïs une destruction. Comme, d’autre part, ce qui se détruit a été formé et ce qui finit a commencé, — on en verra plus loin la démonstration — la vie serait le fait d’un créateur, ou bien sa continuité ne serait assurée que par des créations journalières, des revivifications miraculeuses de ce qui est mort.

L’une et l’autre conclusions sont logiquement inattaquables, mais la science les repousse. Je m’explique. Il n’y a pas contradiction entre la science et la logique. Seulement quand la logique prétend imposer à notre raison le miracle, dès cet instant nous reculons ou bien nous faisons un saut dans le mysticisme. La science humaine en effet n’accepte qu’à son corps défendant la création, puisque son point de départ est la négation radicale de la création.

Quand elle y à recours, c’est faute d’une explication. Mais, même dans ce cas, elle renferme la puissance créatrice dans des limites les plus étroites possible, pour ne pas se proclamer inutile, et elle ne lui rapporte, par exemple, que l’existence de la matière et de la force. En effet, avec la création, on peut tout expliquer, et, por le sujet qui nous occupe, il suffirait d’avancer que tout ce qui vit a été créé mortel. Par là, toute difficulté se trouverait tranchée.

Il n’y a pas que les religions qui résolvent les questions par ces procédés sommaires. Il y a aussi une science qui adore le Dieu hasard, qui voit dans la vie et la pensée le résultat d’une combinaison fortuite de la matière, et qui au besoin supprimera, à la manière d’Alexandre, des termes embarrassants, tels que la liberté, le doute et l’erreur. Or avec le hasard on se tire d’affaire aussi bien qu’avec le créateur : c’est le hasard qui voudra que tout ce qui naît à la vie meure. Solution pour solution, la première est au fond plus scientifique, puisqu’elle met au moins dans la cause ce qui est dans les effets, et qu’elle fait surgir : le vivant, le libre, l’intelligent, de ce qui est la vie, la liberté et l’intelligence absolues.