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Si sa thèse moniste doit être entendue dans le sens que j’ai essayé de préciser dans une étude antérieure[1] la seconde opinion peut être adoptée sous quelques réserves faciles. Parménide a établi que l’univers est un tout plein, limité, sphérique, et dans son ensemble immobile, inengendré, impérissable. Il n’a pas nié les mouvements partiels ni les apparences de genèse et de destruction qui en résultent. Que faut-il pour que son univers physique réponde aux conditions de son univers théorique ?

Deux choses, dont l’une au moins a été indiquée par lui-même. Il faut rejeter le dualisme concret ; mais il n’y a aucune difficulté à cela. Il suffit de revenir au monisme d’Anaximandre.

En second lieu, pour obtenir l’immobilité de l’ensemble malgré les apparences de la révolution diurne, il suffit qu’au-dessus des feux célestes il affirme le repos de la couche supérieure, de l’ἔσχατος ὄλυμπος.

Il n’y aurait donc point d’incompatibilité absolue entre le domaine de la vérité et celui de l’opinion, il n’y aurait que la différence de la certitude à la probabilité.

À ce compte, Parménide ne serait donc, purement et simplement ; qu’un réaliste. Est-ce bien là la vérité ? Je crois que c’en est un côté, mais certainement la question n’est pas épuisée ainsi.

Je ne me croirais point, à vrai dire, obligé d’aborder son autre face, si je ne craignais pas que quelque méprise ne fût possible sur la portée réelle que j’attribue aux études que je poursuis. Déjà l’essai que, je rappelais tout à l’heure a provoqué de la part de M. Lionel Dauriac une note de quelques pages[2] où il a revendiqué les titres de Parménide à être compté comme un des maîtres de l’idéalisme. Je suis donc convié par lui à m’expliquer à ce sujet, et je voudrais au moins lui éviter la peine de prendre une seconde fois la plume pour défendre le vieux poète d’Elée.

J’ai à faire remarquer, avant toutes choses, que je n’ai nullement la prétention d’écrire ici des chapitres successifs d’une histoire de la philosophie. Je tente seulement de mettre en relief certains aspects des antiques doctrines, sur lesquels il me semble que l’attention ne s’est pas suffisamment portée jusqu’à présent. Mais je m’adresse à des lecteurs qui sont au courant de ces doctrines, et je crois inutile de répéter tout ce qu’ils en savent.

Le caractère idéaliste de la thèse de Parménide était notamment

  1. Pour l’histoire du concept de l’infini, etc., voir la Revue de décembre 1882.
  2. Les origines logiques de la doctrine de Parménide, dans la Revue de mai 1883.