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delbœuf. — origine de la vie et de la mort

Ce mot a deux sens ; il en est de même par conséquent du mot de vie. Il peut s’entendre du terme final de toute chose considérée dans son devenir : le mort est ce qui ne peut plus changer. Il peut s’appliquer à l’individu, et il désigne alors le terme d’une existence phénoménale : le mort, c’est ce qui fut et n’est plus. Ce sont ces deux sens que je vais d’abord m’attacher à distinguer.

I

Prise dans le premier sens, c’est-à-dire, comme terme du transformable, la mort correspond à une idée purement relative ; au fond rien n’aboutit à l’absolument intransformable.

Rien ne vient de rien, voilà ce qu’ont proclamé les penseurs de tous les temps. Cet axiome s’applique non pas uniquement à la matière que nous pesons dans nos balances, mais à la force et, en général, à toute espèce de propriété qui n’a pas pour conséquence une augmentation ou une diminution de poids. Quand un barreau d’acier s’échauffe ou s’aimante, il nous plaît de croire que sa chaleur ou son aimantation lui vient de quelque part.

Or la vie, la sensibilité, la pensée me paraissent être quelque chose au même titre que la chaleur et le magnétisme ; c’est pourquoi je me suis refusé à les faire venir de rien, et j’ai soutenu que les germes en étaient déposés dans le berceau de l’univers. Cela veut dire qu’à mes yeux la vie, la conscience et la liberté ne sont pas des phénomènes accidentels, les produits de combinaisons spéciales, surgissant à un certain moment pour disparaître de même, ayant pu ne pas se manifester aussi bien qu’elles se sont manifestées ; qu’au contraire elles ont, comme la force, la même date de naissance que le reste de l’univers.

Mais, si rien ne vient de rien, rien non plus ne retourne à rien. Quand le barreau d’acier échauffé ou aimanté se refroidit ou se désaimante, j’ai le droit de rechercher où peut être allée sa chaleur ou son aimantation. Et j’ai non seulement ce droit, mais je ne puis pas même admettre qu’elles ne soient nulle part. Je conçois sans peine qu’elles se dissimulent ou se métamorphosent, mais non qu’elles s’évanouissent. En va-t-il ainsi de la vie ?

Or, nous le savons, tout travail, tout exercice de force, précipite l’instable à l’état de stable, transforme le potentiel en réel, le possible en acte, et de l’avenir fait le passé. Le jour où rien ne pourrait plus être fait, où rien ne serait plus à réaliser, il n’y aurait plus de