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d’Homère ; or, à des âmes de feu (Hippasos, Parménide), un séjour de feu convient parfaitement.

La théorie d’Anaxagore n’a d’ailleurs nullement été un dogme constant de l’école pythagorienne ; si elle fut adoptée par Philolaos et avant ce dernier par Empédocle (sauf pour ce dernier en ce qui concernait la nature de la lune, qu’il considérait non comme une terre, mais comme de l’air condensé jusqu’à être comparable à de la grêle)[1], il nous est dit (Stobée, I, 26, 1) qu’Alcméon expliquait les phases de la lune par les inclinaisons de son disque supposé creux et lumineux seulement dans sa concavité[2], et que des pythagoriens récents supposèrent qu’un feu s’allumait et s’éteignait régulièrement à sa surface, de façon à la couvrir peu à peu, puis à la découvrir tout entière. Il est à remarquer que Bérose, qui représente plus tard la tradition chaldéenne, à une époque où elle a déjà subi l’influence hellène, considère encore la lune comme une sphère dont la moitié est enflammée et explique ainsi les phases.

Quant à Parménide, les renseignements que nous fournit Stobée en divers endroits concordent pour écarter l’opinion qu’il aurait considéré la lumière de la lune comme empruntée au soleil ; la lune serait de feu (I, 26, 1) ou plutôt un mélange d’air (élément dense) et de feu (élément subtil) [I, 22, 1] ; elle est issue de la voie-lactée, de même que le soleil (I, 25, 1), mais elle provient d’une partie où l’élément dense et obscur dominait davantage ; les particularités qu’elle offre sont la conséquence de ce mélange, et Parménide l’aurait, par suite, appelée ψευδοφανῆ (astre à fausse lumière). En somme, ces données nous conduisent non pas à l’hypothèse d’Anaximène ou à la théorie d’Anaxagore, mais bien à l’explication d’Alcméon ou à celle de Bérose.

Pour choisir entre les deux, il faudrait pouvoir décider si Parménide attribuait la forme sphérique à la lune et au soleil, comme à la terre. La question est passablement douteuse ; l’indication expresse de Stobée (I, 25, 1) que les Pythagoriens donnaient au soleil la forme d’une sphère ne peut être accueillie sans contrôle, car elle peut se rapporter à des Pythagoriens même postérieurs à Philolaos ; d’autre part, il pourrait y avoir eu confusion avec la sphère du soleil, suivant les conceptions développées par Eudoxe, Callippe et Aristote.

Ed. Zeller[3] dit que les Pythagoriens ont dû attribuer au soleil la même forme qu’à la lune, qu’ils se représentaient incontestablement

  1. Ps. Plutarque, Stromat. (Doxogr., p. 582).
  2. On sait que c’était aussi l’explication d’Héraclite ; elle doit remonter à Thalès.
  3. Traduction Boutroux, I, 405, 2.