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pour que la jonction et la soudure se fassent, dans ce cas il est condamné à mort.

C’est pourquoi le tronc peut refaire les membres ; mais les membres ne refont pas le tronc, à moins qu’il ne s’agisse d’une individualité apparente comme celle que présentent les arbres. Quelquefois cependant l’apparence peut-être extraordinairement trompeuse. C’est ainsi que, chez certaines étoiles de mer (genre Ophidiaster), un bras isolé reproduit l’animal entier. Mais au fond, ainsi que M. Haeckel l’a montré[1], le bras doit être considéré comme un tronc donnant naissance à un disque, puis à quatre ou cinq autres bras, de sorte que ce que l’on regarde comme l’animal, se compose au fond de cinq ou six animaux semblables et symétriques réunis par la bouche. Les bras se détachent naturellement, la ligne de fissure est parfaitement marquée. C’est un cas remarquable de génération alternante.

Ces considérations nous expliquent pourquoi et comment l’on meurt à la suite de lésions graves ou d’affections locales. Le cœur est-il blessé, le sang cesse de circuler dans les autres organes et ceux-ci, de proche en proche, arrêtent leur fonction. Mais, si l’on pouvait entretenir artificiellement la circulation pendant un temps suffisamment long, il est possible qu’en vertu de sa force propre, le cœur, toujours vivant, parvienne à réparer sa blessure. C’est ainsi que les animaux empoisonnés par le curare finissent par se remettre si l’on entretient en eux la respiration artificielle. Et c’est sans doute de la même façon, grâce aux soins dont il fut l’objet, que le pigeon de M. Denis récupéra une partie de son intelligence.

Seulement, qu’on le remarque bien, l’artifice est nécessaire ; et cette nécessité même prouve l’unité et la solidarité des parties d’un organisme, bien que ces parties constituent elles-mêmes des espèces d’unités inférieures ayant une certaine part d’indépendance. C’est ce dernier trait sans doute qui a permis à mon ami, M. Ed. Van Beneden, de tenir devant l’Académie de Belgique[2] le langage suivant dont la hardiesse pourra paraître à plusieurs excessive :

« Des difficultés pratiques s’opposent à ce que l’on transporte des cœurs, des cerveaux et, à plus forte raison, des têtes d’un animal à un autre ; à ce que l’on compose de toutes pièces un animal au moyen d’organes enlevés à une série d’individus différents ; mais la notion

  1. Die Kometenform der Seesterne und der Generationswechsel der Echinodermen, extrait de la Zeitschrift für wissenchaftliche Zoologie, XXX, suppl., p. 424 et suiv.
  2. Bulletin de l’Académie de Belgique, 1883, nº 12, p. 910.