Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
261
delbœuf. — la matière brute et la matière vivante

élevé sur l’échelle zoologique, ont l’air de ne leur faire aucun tort.

Il n’est donc pas facile actuellement de délimiter, de définir ce noyau fondamental et central auquel on ne peut toucher sans détruire l’intégrité de l’individu ou même sa vie. Force nous est bien cependant de reconnaître que la plupart des êtres, sinon tous, quand ils ont atteint un certain degré de développement, ne sont plus en état, s’ils viennent à subir de certaines mutilations, de reconstituer la partie enlevée, et que la mutilation ne peut porter sur certains organes sans compromettre le tout.

La machine animale a donc ceci de commun avec nos machines artificielles qu’elle ne se répare pas elle-même. Dans celles-ci, il est vrai, quand un boulon tombe ou qu’une tôle se fendille l’on mettra un autre boulon, un autre morceau de tôle. Mais ce nouveau boulon, cette nouvelle tôle ont été confectionnés par une autre machine. Dans le corps vivant, les choses se passent de même ; mais attendu que les parties y sont aussi des machines, elles peuvent parfois se prêter un secours momentané. C’est ainsi que dans ces vastes usines composées d’ateliers divers, tel ou tel ouvrage d’un atelier forcé de chômer peut être remis à un autre. Aussi, à quelque moment de son développement qu’on le prenne, à sa naissance, dans son adolescence, dans son âge mûr, il y a toujours en lui des organes essentiels qu’il a pu former une première fois, qu’il ne peut former une seconde fois, et que néanmoins on peut entamer de telle façon que la brèche se répare.

Je voudrais préciser ma pensée et crains de le faire. Je m’y risque toutefois. On peut se représenter l’organisme comme se développant sphériquement autour d’un centre. Considérons un rayon de cette sphère et supposons qu’on y fasse une brèche. Des deux tronçons, celui qui restera en communication avec le centre continuera à vivre de sa vie propre, et, à la rigueur, rien ne s’oppose à ce qu’il bourgeonne comme il a bourgeonné une première fois, et continue à s’acheminer vers la périphérie sans que rien y paraisse, à part quelques perturbations inévitables provenant d’un affaiblissement de sa puissance. Quant à l’autre tronçon, il sera libre de se prolonger comme il avait commencé de le faire, ou tout au moins de continuer à vivre, si la nourriture lui est fournie en quantité convenable par les parties avoisinantes ; mais il est incapable de recroître en s’étendant vers le centre dont il est détaché ; ce serait contraire à la loi de son développement. S’il lui est donné par conséquent de végéter jusqu’à ce qu’il soit rejoint par son autre moitié, la brèche sera réparée. Quand, au contraire, la brèche et les connexions seront de telle nature que le tronçon extérieur ne puisse pas vivre assez longtemps