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momentanément aboli, a reparu. À l’autopsie, la moelle se montra reconstituée.

Bien mieux, certaines parties du cerveau peut-être, sont susceptibles de se recréer. M. Hector Denis, professeur d’économie politique à l’université de Bruxelles, avait pris en pension des pigeons auxquels M. Héger, son collègue et professeur de physiologie, avait enlevé les hémisphères cérébraux. On sait qu’à la suite de cette ablation, ces pauvres animaux sont profondément stupides et incapables de mouvements, sinon sous une puissante excitation. Or, un beau jour, un de ses pensionnaires s’est envolé du pigeonnier et est allé se percher sur un mur du voisinage. Quand on voulut le ressaisir, il prit de nouveau son vol, et on ne l’a plus revu.

Depuis ce jour, M. Denis observa avec le plus vif intérêt les faits et gestes de son compagnon qui fut l’objet des soins les plus attentifs. L’animal, qui ne buvait jadis que si on lui versait de l’eau dans le bec, en arriva à boire lorsqu’on le lui plongeait dans le vase, ensuite, à la seule vue du vase, et enfin, il savait s’en rapprocher de lui-même quand il avait soif. Les observations n’allèrent malheureusement pas plus loin ; un maudit chat y coupa court.

Donc la matière, siège de l’intelligence fixée, peut être gravement lésée ou détruite, et se remplacer. À plus forte raison est-il probable qu’il en est ainsi de la matière instable, encore disponible ; ceci n’a rien d’incompatible avec la théorie. Notons cependant que la première ne se reforme pas toujours sans aide. Les pigeons dont je parle, n’étaient pas en état de chercher leur nourriture, ni même de la prendre quand elle était devant eux. Seulement, nourri avec soin et on pourrait presque dire artificiellement, l’organisme s’est trouvé capable de refaire ce qu’il avait fait une première fois, à savoir un mécanisme de conservation.

D’un autre côté, cette faculté réparatrice est évidemment limitée. Une patte de salamandre repousse, mais la tête ne repoussera pas, ni le cœur, ni les reins, ni le foie. Chez les animaux supérieurs, les mutilations les moins graves, l’ablation d’une simple phalange, sont irréparables. Les cicatrices, les traces des blessures, d’un bouton, comme ceux du vaccin, d’une piqûre de sangsue persisteront toute la vie.

De tout ceci il résulte qu’il y a chez l’individu une manière de noyau, un centre autour duquel viennent se grouper des molécules qui servent à leur tour de centres secondaires. Dans les animaux inférieurs, ce noyau n’est pas toujours apparent, et il arrive que le centre est, peut-on dire, presque partout. Tel est le cas de l’hydre. Aussi des blessures, dont la moindre tue infailliblement un animal