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delbœuf. — la matière brute et la matière vivante

nourriture avec sa vertu motrice. Comme moteur, elle se transforme en sécrétions et en excréments ; comme matière plastique, elle devient tissu ou épargne. En elle-même, elle n’a pas de disposition pour devenir ceci ou cela ; mais les éléments déjà formés dans la sphère desquels les vaisseaux l’ont portée, l’attirent à eux et l’accaparent à leur profit. Ce sont eux, à proprement parler, qui la façonnent suivant un certain modèle, et l’emploient conformément au plan qu’ils ont en eux-mêmes. Mais voici ce qui arrive. Après qu’ils ont mis au jour leur œuvre architecturale, ils ont, la plupart du temps, perdu leur faculté créatrice, et si l’on détruit leur ouvrage, ils ne peuvent le recommencer. Parfois cependant ils gardent le pouvoir de réparer les accidents qui surviennent.

Le fait est bien connu. Dans les animaux tout à fait inférieurs, dans les hydres d’eau douce, par exemple, si tout ce qu’on en dit est exact[1], — ce pouvoir existe au plus haut degré. On les coupe en deux, et chacune des deux moitiés est en état de reproduire un animal complet.

Chez les batraciens, les phénomènes de réparation sont patents. La queue, les pattes, les yeux mêmes des tritons repoussent presque aussi souvent qu’on les enlève. J’ai vu un jeune axolotl de cinq centimètres que j’élevais avec sollicitude, réparer de terribles pertes. Je l’avais eu tout petit et l’avais nourri longtemps de daphnies. Il prospérait à vue d’œil. Un jour je capturai un chabot et j’eus la malencontreuse inspiration de le donner pour camarade à la salamandre mexicaine. Le lendemain matin, à douloureuse surprise ! elle n’avait plus que la tête, un bras et la moitié du corps ; tout le train de derrière, à savoir la queue et les deux pattes, plus un des bras, avaient été dévorés par le féroce chabot. Je ne dirai pas que mon axolotl ne s’en porta pas plus mal ; mais il est certain qu’au bout de quelques mois, son corps était refait au point qu’il n’y paraissait rien.

Dans les animaux supérieurs, la force réparatrice est encore manifeste. Les os fracturés repoussent, ainsi que la peau, bien qu’assez mal. La moelle épinière elle-même a la faculté de se régénérer. Le fait n’est plus douteux.

Mes collègues, MM. Masius et Vanlair, ont fait des expériences décisives sur la régénération de la moelle chez le chien. Ils en avaient enlevé un mince disque quelque part, et le mouvement de la queue,

  1. Je ne connais personnellement aucun observateur qui ait refait toutes les fameuses expériences de Trembley. Quant à moi, je ne puis me défendre d’un certain doute à l’endroit de la réalité de quelques-unes d’entre elles.