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delbœuf. — la matière brute et la matière vivante

peut distraire une pierre sans qu’elle s’écroule. Telle est aussi la molécule chimique. Cependant, comme on va le voir, même en ceci l’analogie reparaît. On peut conserver vivants des mécanismes partiels pendant un temps relativement considérable.

Mais en trois points surtout l’analogie est frappante. Premièrement, la nécessité pour toute machine de ne travailler qu’à la condition de consommer de la force. La montre, pour se maintenir en mouvement, doit être de temps à autre remontée. Dans le ressort on emmagasine une provision de force, et, quand elle est épuisée, il faut la remplacer, Nos machines à vapeur, pour donner du travail, consomment du charbon. La vapeur d’eau produite par la combustion vient agir alternativement sur les deux faces du piston, lui imprime un mouvement de va-et-vient qui met en marche maint rouage. L’eau vaporisée, le charbon brûlé, la machine s’arrête. C’est ainsi que le mécanisme animal fonctionne. En tant que mécanisme et considéré en lui-même, il n’a besoin de rien ; ce qu’il faut entretenir c’est son mouvement, et la source de l’entretien de son mouvement est dans la nourriture. La nourriture est chargée de force ; les éléments dont elle se compose sont autant de petits ressorts tendus qui mettent les organes en branle.

Le mécanisme, quand il travaille, ne sait faire qu’une chose ; mais il la fait bien et sans effort : il est infaillible. Tant qu’on jette du combustible dans son foyer ou qu’on tourne la manivelle et tant qu’il est en bon état, il fonctionne avec une régularité imperturbable : le laminoir lamine, la machine à coudre coud, la machine à tisser tisse, la montre marque les heures, et l’orgue de Barbarie joue son air. De même le cœur bat, l’estomac digère, le foie secrète de la bile, et les reins de l’urée. La machine vivante est, à proprement parler, un atelier où il se fabrique beaucoup de choses dont chacune est nécessaire pour chacun des métiers qui le composent. Ces métiers savent marcher en l’absence de toute direction. C’est ce qui arrive chez les déments, les hystériques, chez les aliénés automates, voire chez des décapités. Bien plus, ils sont tellement stylés pour une besogne assignée qu’ils peuvent travailler indépendamment de l’ensemble. Le cœur extrait continue à battre, l’estomac à digérer, le muscle à se contracter. Cependant la solidarité de l’ensemble paraît être une condition indispensable du bon état et de la longue conservation des diverses pièces.

Il existe enfin une troisième analogie entre nos machines et les machines vivantes : elles sont sujettes à l’usure et deviennent à la longue impropres à tout usage. Et voilà pourquoi tout ce qui vit meurt ; la mort n’a pas d’autre cause. L’organisme est un orchestre