Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
254
revue philosophique

partie de substance vivante non renouvelable, cette simple démonstration vaudrait plus que des volumes de syllogismes. Mais enfin, comme je viens de le dire, cette preuve expérimentale ne peut être que difficilement faite. Force est donc bien de s’appuyer sur une logique quelque peu abstraite.

De tout ceci il résulte que chez adulte, à côté de la matière fluente destructible et réparable, il y a une matière fixe et immuable par où s’explique son identité. Cette matière comprend, d’une part, ce que j’appellerai le noyau — c’est le siège des instincts et des prédispositions transmises par voie de génération — d’autre part, ce que je nommerai l’épargne — c’est le siège de l’intelligence, de la mémoire et des habitudes acquises. L’action réciproque de ces trois composantes conditionne la vie individuelle et le perfectionnement de l’espèce. Par elle aussi s’explique la mort. C’est ce que nous allons voir.

IV

La matière fixe et immuable forme le mécanisme. Dans ce mécanisme il y a des parties anciennes, et d’autres qui, de création récente, sont de véritables perfectionnements plus ou moins ingénieux, souvent utiles, parfois devenant par la suite des temps inutiles ou même nuisibles.

La machine vivante ressemble à celles que nos mains fabriquent. Elle en diffère à première vue en ceci qu’elle doit fonctionner sans relâche sous peine de périr. Mais si l’on poursuit minutieusement la comparaison, on verra que, même à cet égard, l’assimilation se justifie. À défauts de soins assidus, nos mécaniques aussi, si elles se reposent, se détériorent, les unes lentement, les autres rapidement. D’un autre côté, il y a bon nombre d’organismes, même très élevés, qui peuvent se conserver plus ou moins longtemps sans aucunement travailler. Citons les rotifères et les tardigraves parmi les infusoires ; chez les vertébrés, les animaux hibernants dont il serait facile de prolonger presqu’indéfiniment la vie en les exposant au froid, les léthargiques et, au nombre de ceux-ci, les fakirs indiens.

Une particularité de la machine vivante, c’est la solidarité des parties. Toute atteinte grave à l’une d’entre elles amène la décomposition des autres. L’organisme une fois mort de mort naturelle, aucune de ses molécules n’est plus susceptible de vivre. C’est comme une larme batavique qui se pulvérise quand on en brise la queue. Cela provient, de ce qu’il n’est pas une simple juxtaposition, mais bien une combinaison d’éléments. C’est comme une voûte dont on ne