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delbœuf. — la matière brute et la matière vivante

nations de l’espèce et, plus que cela, toutes celles de la race, de la nation, de la famille. L’enfant qui s’en développera, aura les cheveux blonds ou noirs, les dents bien ou mal rangées, les doigts longs ou courts, il gagnera certaines maladies à un âge fixé à l’avance, il sera prédéterminé à la goutte, aux maladies de cœur ou à la phtisie. Avec la permanence de cette cellule, ou d’une cellule de la même importance, on en a plus qu’il ne faut pour constituer l’identité psychique de tout individu humain !

Mais il n’y a pas seulement des raisons théoriques ou des fins de non-recevoir à opposer à la doctrine du flux absolu de la substance corporelle. Il y a aussi des faits. Nos dents poussent et croissent ; mais, arrivées au terme de leur croissance, éprouvent-elles un renouvellement de substance ? La goutte, le rhumatisme, le traumatisme s’expliquent-ils bien dans l’hypothèse que je combats ? Les physiologistes ne sont-ils pas portés aujourd’hui à croire que dans les muscles, une fois formés, le nombre des fibres n’augmente plus ? elles peuvent grossir, mais non se multiplier par voie de division ? De là à soupçonner qu’ils ne se renouvellent pas, il n’y a pas loin. Ne sait-on pas d’ailleurs qu’une fibre, déchirée ou détruite dans une partie de son étendue, ressoude ses extrémités séparées, mais avec du tissu conjonctif et non avec de la substance musculaire ? Et la fibre dévorée par la trichine n’est-elle pas perdue sans retour ?

Est-il bien sûr que le squelette ne cesse de se détruire et de se reformer dans toute sa masse ? Est-ce que nous ne voyons pas la vie circuler et imprégner de sève le bois de l’arbre qui pourtant n’est sujet à aucun changement substantiel ? Est-ce que la coquille du colimaçon, les valves de l’huître se renouvellent ? Est-ce que les os ne s’altèrent pas à longue ? Et puis, à quoi bon cette destruction et cette reconstruction du squelette ? Faudrait-il encore une fois accuser l’oxygène de ce méfait ? Il ne serait pas à la rigueur impossible de s’assurer par l’expérimentation de ce qui en est. On sait que les poules qu’on prive de chaux, pondent des œufs sans coquille. Un enfant, auquel on refuserait des carbonates et des phosphates calcaires, deviendrait immanquablement rachitique. Il s’agirait seulement de savoir si l’adulte a encore besoin de cette même quantité de calcium et de phosphore, et si, par exemple, on ne pourrait la réduire dans des proportions notables, sans qu’il en souffre. Le coq n’a pas les mêmes exigences que la poule. Il n’y a rien que de plausible à admettre que l’adulte n’a pas celles de l’enfant.

Mais c’est assez raisonner. Je reconnais aussi bien que n’importe qui le peu de solidité de cette argumentation purement négative. Si je pouvais montrer à la pointe du scalpel ou sous le microscope une