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sur l’adulte et sa composition que notre attention va pour le moment se diriger.

III

L’identité de l’animal pendant son existence d’adulte tient donc, selon la raison, à la permanence d’une certaine substance, matière ou force, ou mieux, pour ne pas rester dans l’abstraction, d’un certain mécanisme. Je distinguerai plus tard dans ce mécanisme deux parties, une partie de formation ancienne, une autre de formation récente, la première transmise avec le germe, l’autre créée par le sujet lui-même.

Qu’il y ait dans le corps des animaux des parties immuables, c’est ce que l’expérience semble contredire. Par exemple, on a nourri des chiens avec de la garance et l’on a trouvé que leurs os mêmes devenaient rouges. On a imprégné leurs aliments d’huile de lin, et l’on a retrouvé de l’huile de lin dans tous leurs tissus. On a fait ensuite la contre-épreuve. On a modifié leur régime, et l’on a vu la garance ou l’huile de lin s’éliminer peu à peu et les tissus reprendre leur aspect normal.

Je n’ai garde de mettre en doute ces résultats, et j’accorde sans difficulté que, si l’on faisait avaler du pétrole à un chien, on aurait chance de retrouver du pétrole dans tous les organes, peut-être même dans ses poils et ses griffes. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Uniquement que les tissus sont poreux et susceptibles de s’imbiber de certains liquides. Ils les garderaient même que l’on ne pourrait de ce fait rien conclure de précis. Le papier se tache par l’huile et par l’alcool. La première reste, le second s’évapore ; ni l’une ni l’autre ne fait partie de la substance du papier.

Certes il y a d’autres expériences et d’autres preuves. Il y a un système circulatoire jusque dans les os, et, quand on observe au microscope un infusoire, on voit des particules s’en aller et d’autres les remplacer. En pareille matière, l’expérience ne pourra jamais fournir de preuve inattaquable. L’observation ne pourra jamais atteindre les dernières particules, et l’on sera toujours libre de nier l’’universalité des changements partiellement constatés. Il suffit en effet qu’un grain de matière persiste pour que l’opinion que je défends soit sauve. Or, qui voudrait prendre sur lui d’établir que ce grain n’est pas à trouver ?

Je dis qu’un grain suffit. En effet, voyez l’œuf humain, une simple cellule ! Or cette cellule renferme en elle-même toutes les détermi-