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delbœuf. — la matière brute et la matière vivante

minois fripon. Qui le leur apprendra ? Et en attendant, que se pas-sera-t-il ? Rien !

D’ailleurs on ne peut échapper à ce dilemme : entre les molécules à remplacer et celles qui les remplacent, il y a de l’analogie ou il n’y en a pas. S’il y en a, à quoi bon la substitution ? et s’il n’y en a pas, quel résultat utile peut-on en recueillir ?

Mais il n’y en a pas. Et la théorie de l’oxygène ravisseur, qui rend si facilement compte de la destruction, laisse la réparation inexpliquée et inexplicable.

Je m’arrête. J’en ai dit assez pour donner à entendre que, selon ma manière de voir, la permanence psychique implique une permanence substantielle.

Oh ! je n’ignore pas les difficultés du sujet et je compte m’y appesantir. La cellule-œuf est déjà l’individu ; et pourtant cet œuf va grandir, cette cellule va se multiplier, il y en aura bientôt deux, puis quatre, puis huit, puis enfin des milliards. Où sera donc la substance permanente ?

De plus, chacune des nouvelles cellules a néanmoins un caractère individuel et une existence à certains égards indépendante. Beaucoup d’entre elles semblent même ne sacrifier qu’une part bien minime de liberté, si elles le font. Dans le sang circulent de véritables animaux, les globules blancs, qui ne se font pas faute d’avaler ce qu’ils trouvent à leur portée et à leur convenance, voire des globules rouges et parfois leurs semblables. Leur identité est-elle indispensable à l’identité du tout ?

On a depuis longtemps, et avec raison, comparé l’organisme à une société où règne le principe de la division du travail. La société, dit-on, subsiste bien que les sociétaires changent. L’argument n’est pas péremptoire : elle n’en subsisterait que mieux si les sociétaires ne changeaient pas. Une loi naturelle les fait disparaître tour à tour, et c’est pourquoi la perpétuité se réfugie dans des mœurs ou des statuts confiés à la garde des générations successives. Or, c’est précisément la nécessité de cette loi naturelle qui nous occupe en ce moment.

Pour sortir de ces difficultés, il nous faut distinguer entre l’adolescent et l’adulte. La question se présente en effet différemment pour l’être incomplet qui est en voie de se compléter, et l’être parfait qu ne peut plus que dépérir.

Celui-ci, en effet, change peu, du moins en apparence ; tandis qu’il y à un écart immense, tant pour la matière que pour la forme, entre l’œuf et l’individu dont la croissance est achevée. Ce qui a trait à la naissance et à l’adolescence viendra dans le second chapitre. C’est