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Vous ressemblez, à s’y méprendre, à votre voisin, vous n’êtes pas lui. Enfin, la forme de la cire peut changer sans que celle-ci cesse d’être elle-même, et vous, vous resterez ce que vous êtes après des déformations et des mutilations considérables. À quoi tiendrait donc l’identité physique s’il n’y avait pas identité corporelle ?

Je vois d’ici la réponse. Le renouvellement corporel se fait molécule par molécule, et la molécule nouvelle prend exactement la place de celle qui disparaît. Cette hypothèse ne tient pas, et je le prouve.

Voici un aimant. Si, par supposition, on enlève tour à tour les atomes qui le composent pour les remplacer par d’autres identiques au premier, quand l’opération sera achevée, pourra-t-on dire que l’aimant résultant est identique au premier ? Semblable, oui ; identique, non. Si cependant contre toute évidence on voulait soutenir qu’il est identique, que dira-t-on de l’aimant qu’on parviendrait à refaire avec les particules soustraites et remises dans le même ordre ?

Imaginons une installation ingénieuse. L’aimant sera plongé par un bout dans un bain qui le raccourcit, tandis que par l’autre bout un autre bain le rallonge. Cette image a le mérite de figurer exactement l’usure et la réparation des organismes telles qu’on se les représente d’ordinaire, l’organisme se détruisant dans toute son étendue et l’organisme se refaisant par intussusception. Admettons en outre que les molécules enlevées soient, par un procédé inverse, reconstituées et replacées dans leur ordre primitif. Qui s’avisera de penser et de soutenir que l’aimant plongé dans le double bain reste identique à lui-même, et que celui qui se reforme n’a rien de commun avec le premier ? Personne.

On a rendu la substitution progressive, lente et insensible pour la concilier avec la permanence à travers le changement. On à divisé la difficulté en un nombre infini de difficultés infiniment petites, en se disant qu’on en aura d’autant plus facilement raison qu’elles seront petites, et l’on triomphe par avance. Illusion pure ! Dès qu’une unité substantielle perd un atome de sa substance, elle n’est plus identique à elle-même. Sans doute on ne voit pas la différence, mais elle n’en subsiste pas moins ; et l’erreur en ceci, comme partout ailleurs, consiste à supposer la non-existence de ce qu’on ne voit pas[1].

II

Ce n’est pas tout cependant. Si l’identité physique ne peut se con-

  1. Voir Revue philosophique : Logique algorithmique, 1816, p. 594.