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la place d’un grand nombre de demandes plus ou moins semblables, il n’en reste plus qu’une — si, bien entendu, l’on considère comme suffisamment assises les lois de la transformation des espèces.

Ce que je viens de dire n’est pas absolument étranger à mon sujet. À moi aussi il va me convenir de résoudre des énigmes par généralisation et par fusion.

Comme je l’ai dit précédemment, c’est du jour où la mort a fait son entrée dans le monde, que les êtres vivants se sont mis à engendrer, et que la vie s’est perpétuée par voie de transmission. Ainsi c’est dans la mort, fait général, que la vie de l’individu puise sa raison d’être. Mais en soi, elle est plus incompréhensible que la vie. Après tout, je me sens vivre, et j’ai ainsi une connaissance pratique de ce que c’est que vivre. Mais je ne sais vraiment ce que c’est qu’être mort, ni quelle sorte d’existence est dévolue aux choses qui ne vivent pas. Au fond, s’il nous est si difficile de comprendre comment la vie prend naissance, c’est parce que nous ne voyons pas comment elle prend fin. Seulement nous trouvons plus récréatif sans doute de spéculer sur l’origine de la vie que de méditer sur la cause de la mort.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que ces problèmes sollicitent mon attention. Dans mon étude sur le Sommeil et les Rêves, préoccupé des traces indélébiles du passé, j’ai rencontré sur ma route la question de la génération et de la sexualité, au sujet de laquelle j’ai émis quelques idées. À propos du problème de la mort, je disais dans ma Théorie de la sensibilité [1] : « La mort pourrait bien n’avoir d’autre cause que la diminution de la faculté d’accommodation, provenant de ce que l’impression laisse une trace ineffaçable, quoique de plus en plus faible. Une corde de violon écartée de sa position d’équilibre — surtout si l’écart s’est approché de la limite d’élasticité, — n’y revient pas avec toutes les propriétés qu’elle possédait auparavant : elle est plus lâche. Le musicien doit donc la retendre ; et il doit si souvent le faire qu’elle finit par se rompre sous l’archet. »

Mon unique ambition aujourd’hui est de serrer l’une et l’autre question de plus près.

L’idée qui me guide est assez simple, et peut s’exposer en quelques mots. La mort est une conséquence de la localisation des fonctions : et celle-ci, de la propagation par division. Cette conception nous reporte donc au début de l’univers. De là deux chapitres, l’un où j’établirai que telle est bien la cause de la mort, l’autre où je remonterai à l’origine des organes différenciés.

  1. Bruxelles et Liège, 1876, p. 48.