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delbœuf. — la matière brute et la matière vivante

dans un problème plus général. La généralisation équivaut à une simplification.

Voyez l’astronomie, la plus parfaite de nos sciences. Elle s’est bornée à expliquer les phénomènes célestes par deux ordres de mouvements, un mouvement tangentiel et un mouvement centripète, mais elle renonce à se prononcer sur l’origine de ces mouvements.

Concernant la naissance de l’humanité, en sait-on beaucoup plus que du temps de Deucalion ? À la suite de Démocrite et d’Épicure, Lucrèce, dans son poème, nous montre la nature essayant toutes espèces de formes ; mais, ajoute-t-il, de ces formes, beaucoup furent inaptes à vivre parce que, manquant de bouche, ou d’yeux, ou de membres mobiles, elle ne pouvaient prendre ou chercher leur nourriture, ni fuir le danger ; d’autres, privées des attributs du sexe, ne purent propager leur espèce[1]. Ce n’est qu’après bien des tentatives avortées qu’elle accouche d’animaux en état de Soutenir la lutte de l’existence. Enfin elle fit l’homme, qui a engagé le combat contre toutes les autres espèces animales pour les détruire si elles lui sont nuisibles, ou les asservir si elles lui sont utiles. N’est-ce pas le principe de la sélection naturelle et de la survivance du plus apte ? Et nos modernes physiciens-philosophes parlent-ils au fond autrement que Lucrèce, quand ils font consister l’univers originel en un jeu d’atomes où l’intelligence n’a pas de place, et d’où pourtant l’intelligence surgit un beau jour par hasard ?

Le système admirable de Darwin a-t-il jeté quelque clarté sur l’origine des espèces ? Oui, sans doute. Mais sur l’origine de la première espèce, non. Autrefois, aux questions : d’où vient l’homme ? d’où vient le cheval ? d’où vient le papillon ? on répondait : Donnez-nous un couple homme, un couple cheval, un couple papillon, et nous vous ferons leurs espèces. C’est ainsi que parlait Moïse. Aujourd’hui les plus hardis parmi les prudents, c’est-à-dire parmi les adversaires de la génération Spontanée, disent : Donnez-nous un protiste, et nous formerons à la fois l’homme, le cheval et le papillon, même le chêne, le palmier et la mousse. Parfait. Mais d’où vient ce premier protiste ? C’est toujours la même question. Seulement à

  1. Multaque tum tellus etjam portenta creare
    Conatast mira farie membrisque coerta,
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    Orba pedum partim, manuum viduata vicissim,
    Muta sine ore etiam, sine voltu cœca reperta,
    Vinctaque membrorum per totum corpus adhaesu,
    Nec facere ut passent quicquam, nec cedere quoquam,
    Ner vitare malum, nec sumere quod foret usus,
    · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
    Nec reperire eibum nec jungi per Veneris res.

    Liv, V, 834 et suiv.