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assurer si la hauteur du mercure dépend de l’une plutôt que de l’autre ?

Les êtres vivants sont des biomètres dont le ressort vital est hors de notre portée. Nous voyons bien leur vie augmenter ou décroître ; mais les causes possibles de ces variations sont tellement multipliées et chacune d’elles peut agir par tant de voies différentes, que les expériences les plus prudemment conduits nous amènent toujours dans un labyrinthe inextricable. Ah ! si nous pouvions construire un biomètre, si un jour la chimie faisait sortir de ses matras du protoplasme vivant ! ce jour-là — ou le lendemain — nous saurions au juste pourquoi il doit se nourrir, croître jusqu’à une certaine limite, puis mourir. Mais ce jour paraît bien éloigné, tellement éloigné qu’on se prend à désespérer de le voir jamais éclore.

Aussi, celui qui tente aujourd’hui d’expliquer la mort ne peut guère se flatter de jeter beaucoup de lumière sur le sujet. C’est la spéculation surtout qu’il appelle à son aide ; or l’on sait ce qu’elle vaut, et de combien d’orgueilleuses erreurs elle sait nous repaître. Si donc je me prends à attaquer le redoutable problème, c’est après bien des hésitations que justifieraient suffisamment les seules lacunes de mon savoir. Je crois fouler une terre non explorée. Si cependant des voyageurs avaient passé par là, ce que j’ignore[1], j’espère que les vues que je vais exposer, ne feront pas double emploi avec celles qui, à mon insu, auraient déjà été émises.

Après tout il faut bien que quelqu’un commence. La mission de la philosophie n’est-elle pas d’élaborer les questions jusqu’au point où elles puissent être remises aux mains des sciences positives ? Aucune science d’ailleurs ne donne jamais de solution complète. Ce que l’on appelle ainsi n’est d’ordinaire que la fusion du problème

  1. Ces mots étaient vrais quand je les ai écrits. Mon travail était achevé dans mon esprit, et sur le point de l’être dans sa rédaction, quand une brochure de M. Alexandre Götte, sur l’origine de la mort (Ueber den Ursprung des Todes) me tomba sous la main. Là, j’appris que M. Weismann s’était déjà occupé de la question en 1881 (Ueber die Dauer des Lebens, Salzburg) dans une conférence sur la durée de la vie, qui avait fait quelque bruit : Depuis, ce dernier a repris son étude à l’occasion du travail de M. Götte, et a fait refondre son œuvre en un petit volume bien remarquable et bien suggestif de 85 p., intitulé Ueber Leben und Tode, sur la vie et la mort, qui vient de paraître à Iena. Enfin, en 1883, à l’occasion d’une solennité universitaire, il avait traité le même sujet dans un discours sur l’éternité de la vie (Ueber die Ewigkeit des Lebens). La lecture de ces trois œuvres n’a modifié en rien ma manière de voir : c’est pourquoi je n’ai pas touché à mes articles. Sauf inévitablement en quelques endroits, je ne me suis pas rencontré avec ces illustres biologistes. J’ai rendu compte ici même de ces deux ouvrages (No de Juin).