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notices bibliographiques

mur, une horreur colossale, un symbole de guerre, que dévore la lumière qui venait de l’avenir. Le soleil remplit l’espace, et je pus voir la terre ! Du fond de cette horrible tragédie sortit un front souriant, triomphal. Je voulus savoir qui il était. Je suis Jordano Bruno, et j’achève de tuer le moyen âge » (p. 18). Voyez cette silhouette de Galilée, découpée en plein ciel : « Et Galilée jura ! La cérémonie finit. C’était un jour de juin, un matin si beau qu’il faisait s’agiter dans le cœur les plus doux sentiments. Le penseur, alors, voyant le firmament, voyant la nature dans ses étreintes d’amour, le mouvement, le monde, l’arbre, la fleur, il sentit alors dans sa poitrine monter le reproche de la voix de sa conscience : « Infâme, tu as menti à la raison ! Tu as menti au monde ! « Maudit sois-tu !.… Plutôt fusses-tu muet ! » On le vit alors battre du pied sur le chaos, trembler, gesticuler… Neuf heures du matin, élevant dans l’espace un écho sépulcral, achevaient de sonner au loin dans la cathédrale. Le penseur, entendant cette voix sereine, cette voix qui bénit et qui condamne, ce son d’immense douleur qui tire des larmes, se redressa et murmura : « E pur… e pur si muove ! » Alors la terre s’enfuit, et cette voix pure ouvrit et transforma les ères de l’avenir (p. 61). »

Des portraits de philosophes passons à l’exposition des systèmes, et nous verrons que le grave panthéisme, par exemple, peut revêtir en poésie une forme nette et éclatante.

C’est encore Jordano Bruno qui parle : « Il ne peut y avoir deux infinis, comme il ne peut y avoir deux granits dans une roche ; cet être infini, ce limpide univers, qui constitue tout, qui entraîne en lui confondus la mer, la terre, les fleurs, l’espace, le vide, les cieux, ce tout mystérieux est proprement Dieu, un Dieu total, immense, la vastitude sidérée, un Dieu nature, un Dieu pure matière, qui tira de lui-même, et dans une lutte furieuse, ce volcan de lumière : la conscience humaine. En lui, tout est égal. Tout a la même origine, tout vient de son être, tout vient du tourbillon qui agite et transforme l’essence de l’univers, depuis la pierre qui dort jusqu’à l’atome dispersé. La roche est sœur de la fleur, la fleur de l’animal ; et l’homme, ce soi-disant héros divin, a pour frères sur terre les êtres de la création, le poisson, le serpent, l’oiseau, le singe et le loup. Le riche est frère du misérable plébéien, le ver de terre frère de l’étoile du ciel ; un haut empereur, pour si puissant qu’il soit, est frère aussi de la misérable canaille, C’est pourquoi sur terre doit exister l’égalité, doivent exister la justice, la lumière et la liberté (p. 22). » On peut trouver quelques échantillons tout aussi heureux de poésie philosophique dans les pièces dont voici les titres : L’humanité, Vanini, Newton, Panthéisme, Au marquis de Pombal, Lamarck, etc.

Bernard Perez.