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existent ? — Encore une forme bien embarrassée pour signaler un défaut qui est celui de tous les dogmatistes. Avec eux, Leibniz affirme à priori l’identité de la pensée et de l’objet. Une fois ce salto mortale effectué, le reste s’en déduit très légitimement.

Je suis également peu sensible à des objections, tout éléatiques, tirées de la contradiction entre la monade considérée comme un point et l’affirmation de l’étendue, entre l’affirmation de la continuité et l’admission de l’énorme différence, de l’abîme qui sépare le néant de Dieu. Si douce que soit la pente qui mène de l’un à l’autre, il y a des chutes et des sauts. Pour être réduits à l’infiniment petit, ces sauts n’en sont pas moins des sauts.

Il n’est pas nécessaire d’insister davantage sur cette critique, qui est très insuffisante. Leibniz a élevé un monument qui, de loin, paraît simple et, de près, se révèle comme une œuvre singulièrement composite. Dieu créateur et monadisme, c’est-à-dire atomisme ! Le moyen de concilier l’eau et le feu ? Il les a, en tout cas, si bien réconciliés dans sa personne qu’on lui fait à la fois la réputation d’un orthodoxe et d’un homme de progrès. Sa philosophie ne me semble, pour ma part, ni si conservatrice de la doctrine cartésienne, ni si rénovatrice du spiritualisme. Si ia doctrine des monades est véritablement le fond de son système, ce système n’est-il pas plutôt une combinaison du vieil atomisme avec les tendances théosophiques et néoplatoniciennes ? Pourquoi M. Ritter ne reprendrait-il pas à ce point de vue un sujet pour lequel il se trouve dans d’excellentes conditions de préparation ?

Maurice Vernes.

Tarrozo (Domingos). A poesia philosophica, Poemas modernos, Pontè do Lima, bibliotheca de Norte, 1883.

Après un Essai de philosophie nouvelle[1], M. D. Tarrozo nous présente un essai de poésie nouvelle, de poésie philosophique. Ce jeune un peu trop pressé de produire ou de publier ce qu’il produit, s’en tiendra-t-il à des ébauches ? Apprendra-t-il enfin tout le prix d’une composition lente et disciplinée ? Son dernier livre ne nous montre pas qu’il en ait grand souci ! Nous serions heureux d’applaudir çà et là des tirades d’une élévation réelle, des vers précis, fermes et sonores, auxquels il manque peu de chose pour être de beaux vers ; mais l’abondance des redites, des passages lâchés, des métaphores vides et des périodes déclamatoires nous en ôte presque l’envie.

Après ces fortes réserves, louons, c’est-à-dire, citons : Voyez un Jordano Bruno fièrement campé : « Alors je vis tomber un immense

  1. Voir la Revue, t.  XIII, p. 560