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BROCHARD. — DE LA CROYANCE

jugement, je n’entends pas seulement exprimer ma préférence et mon goût : je déclare que cela est ainsi, indépendamment de mon goût particulier. Telle est en effet la prétention de toute croyance : mais qui ne voit qu’en réalité, je ne fais qu’exprimer ma préférence personnelle et mon goût particulier ? Et il en est ainsi de tous nos jugements : les vérités les plus absolues et les plus universelles ne deviennent objets de croyance qu’en revêtant la forme de jugements individuels, acceptés, et comme ratifiés par telle personne donnée.

En dehors des objections si ingénieuses et si fines de M. Janet, la théorie de la croyance volontaire soulève encore bien des difficultés : examinons-en quelques-unes.

On trouve chez Spinoza une théorie originale et profonde de la croyance. Les idées, suivant ce philosophe, ne sont pas comme des dessins muets et inertes tracés sur un tableau[1] : elles sont actives et en quelque sorte vivantes : c’est toujours une réalité qu’elles représentent. En d’autres termes, l’idée et la croyance ne sont jamais séparées[2] : l’analyse les distingue, et attribue l’une à l’entendement, l’autre à la volonté. Mais l’entendement et la volonté ne sont au fond qu’une seule et même chose[3]. Dès lors, penser une chose de quelque manière que ce soit, c’est y croire : les images elles-mêmes ne font pas exception[4] : la croyance s’y attache, aussi longtemps du moins, que d’autres images, accompagnées d’autres croyances, n’y font pas obstacle. Par suite être certain, c’est avoir une idée que non seulement aucune autre ne vient contrarier en fait, mais qu’aucune autre, absolument parlant, ne saurait contrarier. D’autre part, croire, c’est avoir une idée à laquelle aucune autre ne s’oppose actuellement, mais qui, à un autre moment, si la connaissance se complète et s’achève, peut rencontrer une idée antagoniste. Comme l’absence de doute est autre chose que l’impossibilité absolue de douter[5], il y a entre la croyance et la certitude une différence spécifique. Par suite, l’erreur n’est jamais que l’absence d’une idée vraie, c’est-à-dire une privation[6], ou une négation. Douter enfin c’est, ayant une idée, en concevoir en même temps une autre qui fasse obstacle à la première et arrête la croyance.

  1. Eth., II, pr. 43, pr. 48, schol.
  2. Eth., II, pr. 17. corol.
  3. Eth., II, pr. 49, corol.
  4. Eth., II, pr. 47, Cf. 49, corol., schol., p. 121.
  5. Eth., II, pr. 49, corol., schol.
  6. Eth., II, pr. 35.