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notices bibliographiques

gloire d’avoir à citer les noms d’Anquetil et de Burnouf, se désintéressa de cette science doublement française, créée à deux reprises par l’héroïsme de l’un et le génie de l’autre. »

Ici, par un sentiment très louable de modestie, M. Darmesteter est entraîné à l’inexactitude. Comment se douter, en lisant ces lignes, que les études zendes sont en ce moment représentées en France de la façon la plus solide et la plus brillante : par M. Bréal, qui n’en fait pas d’ailleurs son principal domaine, par M. Hovelacque, par M. de Harlez qui, bien que Belge, collabore à plusieurs recueils français, surtout par M. Darmesteter lui-même, à qui l’Angleterre est venue récemment demander la traduction des livres avestiques.

Dans la partie relative à l’Égypte, M. Darmesteter s’exprime sur certains rapprochements prétendus entre l’histoire de ce pays et les ancêtres de la nation juive, en termes qui ne répondent pas à l’état actuel de la science. C’est M. de Rougé « retrouvant l’histoire de ces fameux Pasteurs sous qui régna Joseph et dont la chute allait amener l’Exode d’Israël » (p. 60). En lisant ces lignes, que n’accompagne aucune réserve) on se croit en présence d’un fait solidement établi, tandis qu’on devrait laisser à l’inventeur l’entière responsabilité d’un rapprochement tout hypothétique. — Page 63, il est question du Sérapéum, « ce Saint-Denis des dieux-taureaux, qui avait abrité dans ses cryptes les Apis de seize dynasties, depuis Sésostris jusqu’aux Ptolémees, depuis ceux dont les Hébreux du temps de Moïse avaient emporté au désert le souvenir et une vague adoration… » Rapprochement banal, dont une étude plus attentive a montré l’entière inexactitude. — P. 65, on lit : « Touthmosis… conquérant de la Palestine trois siècles avant Moïse, et… la nomenclature géographique de la Terre sainte, telle qu’elle était encore au temps où les fils de Jacob servaient encore en Égypte… » Les manuels à l’usage de la jeunesse connaissent parfaitement le siècle de Moïse et celui des fils de Jacob, mais les orientalistes ne sont pas si avancés. — P. 68, « … le pays de Goshen, où vécurent Jacob et les siens ; Pithom et Ramsès, destinés à commenter l’Exode.. Les plus anciens souvenirs des Phéniciens, des Juifs, des Hellènes, reposent là, à quelques pieds sous terre… » Expressions trop affirmatives, Si des savants comme M. Darmesteter encouragent par leur exemple des façons de parler consacrées par la routine, ils augmenteront les difficultés qu’éprouvent les spécialistes à faire pénétrer dans le public des vues plus justes sur ce qui concerne la préhistoire israélite[1]. Je signale enfin dans ce morceau un ton parfois un peu déclamatoire, un abus des « quarante siècles » de Bonaparte, des noms propres donnés inexacte-

  1. Il n’y avait pas lieu non plus de signaler le rapprochement, dépourvu même de tout indice de vraisemblance, proposé par M. de Longpérier entre la civilisation à laquelle se rapportent les monuments récemment découverts par M. de Sarzec et une oppression subie par les Juifs au temps des juges de la part d’un potentat étranger p. 81).