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ANALYSES.j.-b. bigou. Infaillibilité rationnelle.

des uns ce que nous affirmons tous de l’existence et de la succession des autres. Ils ont cherché à fonder la métaphysique sur un fait, sur une expérience et non sur une démonstration purement rationnelle. Ils ont vu que la métaphysique n’était pas les mathématiques, qu’il n’était pas possible de procéder par la même méthode dans la réalité et dans l’abstraction. Sans doute, les mathématiques ont pour point de départ des définitions subjectives, — créations de notre esprit ou produits de l’expérience, peu importe au point de vue qui nous occupe, — et il suffit dès lors de bien raisonner, de faire des syllogismes parfaits pour atteindre à la certitude ; mais il s’agit en ce cas d’une certitude purement subjective. La métaphysique qui veut être la science de l’être ne se contente pas d’une telle certitude ; il faudrait que ses définitions n’exprimassent pas uniquement ce que tel ou tel auteur entend par tel ou tel mot ; il faudrait encore qu’elles fussent l’expression adéquate de la réalité. Or, nous ne croyons pas que les sceptiques et les acataleptiques reconnaissent qu’il en est ainsi pour les définitions données à priori par Spinoza ou par l’abbé Bigou.

Ce n’est pas tout, il faudrait encore, pour réfuter les acataleptiques et pour convaincre les sceptiques, établir que les lois du raisonnement par lesquelles nous arrivons à une certitude subjective sont identiques aux lois mêmes de l’être que veut nous faire connaître la métaphysique. Qu’on admette avec Leibnitz et Aristote qu’il en est ainsi, nous le comprenons ; qu’on veuille le prouver directement, quoique sans le dire expressément, comme l’a tenté l’abbé Bigou, qu’on aille plus loin que tous les adversaires du scepticisme ; qu’on croie qu’on ne saurait lui faire une part, si petite qu’elle soit, sans lui donner par cela même gain de cause ; qu’on s’efforce de lui démontrer rigoureusement qu’il a tort, c’est une entreprise digne peut-être de tenter un métaphysicien ; mais nous ne croyons pas que l’abbé Bigou y ait réussi et nous doutons même qu’on puisse jamais y réussir.

P. Picavet.