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ANALYSES.stuart mill. L’utilitarisme.

conduit est simple et séduisant ; l’homme, dit-on, est toujours déterminé par le plus fort motif, mais le plus fort motif n’est que celui qui lui convient le mieux, qui a le plus de rapports de convenance avec son organisation psychique, celui qu’il préfère, en un mot, celui qu’il aime le mieux. Choix, préférence, désir, plaisir plus grand on peine moindre, tous ces termes sont synonymes ou équivalents, toutes ces choses s’impliquent l’une l’autre ou se confondent entre elles. Ainsi, en un sens, l’homme agit toujours par intérêt et cherche son plaisir ; il n’en saurait être autrement, puisque c’est lui qui agit et que son action est déterminée par le motif le plus fort.

On voit la relation qui existe entre ce principe dans le domaine de la volonté et le principe de la relativité de la connaissance dans le domaine de l’intelligence. Cette relation nous explique la part de vérité qu’il renferme. De même en effet que les idées, et en général tous les phénomènes intellectuels réalisés chez un être sont déterminés dans une certaine mesure par la constitution psychologique de cet être, de même tous les phénomènes de désir, de relation, d’activité quelconque manifestés par un être se rapportent à cet être et expriment sa nature Nous allons voir ici comment on est arrivé au faux.

La nature d’un être est une chose très complexe. Nous sommes un complexus de phénomènes et de tendances plus ou moins coordonnées entre elles par groupes divers plus ou moins reliés entre eux qui s’aident quelquefois et se combattent. Le désir est l’expression psychologique d’une ou de plusieurs de ces tendances, d’un ou de plusieurs de ces groupes, et tend vers ce qui pourrait satisfaire la tendance ou le groupe dont il est l’expression. Or il peut se présenter plusieurs cas. Quand l’organisme entier est bien systématisé, quand les diverses tendances de l’individu sont bien d’accord entre elles, le désir a toujours en effet pour but le plaisir ou le bonheur, car le plaisir ou le bonheur résultent toujours de l’accroissement de systématisation de l’individu, et c’est un accroissement de systématisation que la satisfaction donnée à une tendance particulière en harmonie avec les autres tendances, Mais il peut arriver aussi que le désir, la volonté ou l’acte soient produits par une tendance tout à fait en désaccord avec les autres. Alors on ne saurait dire que l’individu désire ou recherche son bonheur. [Il ne recherche même pas toujours un plaisir, et, quand c’est un plaisir il sait que ce plaisir lui nuira, souvent il fait effort pour ne pas le désirer ou pour ne pas commettre l’acte qui le lui procurera. On croit trop encore à l’unité de l’individu, l’homme actuel n’a ni l’unité métaphysique, qui est une chimère, ni l’unité psychophysiologique, qui résulterait de la systématisation complète. Voilà comment il est possible d’entendre que l’homme ne recherche pas toujours son plaisir. Mais on peut aller plus loin.

L’habitude, c’est un fait bien connu, émousse les sentiments et facilite les actes. Supposez un homme qui prenne une mauvaise habitude, c’est-à-dire l’habitude de satisfaire une tendance particulière, de manière à