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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


Gabriel Séailles. Essai sur le génie dans l’art. Paris, Germer Baillière. 1884.

Les lecteurs de la Revue savent quel intérêt passionné notre collaborateur M. Gabriel Séailles, depuis qu’il a commencé décrire, a toujours témoigné en faveur de l’Esthétique. Deux articles signés de lui ont paru ici même sur l’Esthétique de Hartmann. On pourrait en détacher plusieurs pages exquises, où se révèle un critique délicat, chez lequel le plaisir d’admirer les belles choses s’accroît au lieu de s’atténuer par l’analyse, Une étude sur la Science et la Beauté nous a fait connaître l’Esthétique de M. Véron et les Principes scientifiques de la théorie des beaux-arts de MM. Brücke et Helmholtz. Il n’est pas jusqu’aux études sur M. Ravaisson et sur M. Lachelier où l’on ne voie que chez notre écrivain l’artiste décidément se mêlera toujours au philosophe. Teindre les choses des couleurs de son âme, c’est là le propre de l’artiste et l’on n’est artiste qu’à la condition de posséder une âme dont les harmonies résonnent éveillées par les harmonies de la nature.

Le livre dont nous allons parler est une étude toute personnelle et où l’auteur analyse les sentiments qui le dominent en présence de l’univers et du génie intérieur qui l’ordonne. Tout est beau en ce monde : l’être, n’est-ce point la perfection, et, par cela seul qu’on aspire à l’être, ne cède-t-on pas inconsciemment à l’attrait du parfait ? Ainsi, le savant qui voudrait nous faire descendre l’échelle des êtres nous conduirait jusqu’aux derniers degrés de la beauté. La laideur même atteste cet élan de toutes choses vers l’idéal ; que l’idéal avorte, et la laideur se produit. La laideur a voulu être beauté : elle a manqué son but.

Qu’est-ce que le Génie dans l’art ? Interrogeons la nature avant d’examiner les chefs-d’œuvre des grands artistes. Le génie crée des œuvres dont l’artiste s’étonne, il ignore les lois de son inspiration. Et pourtant cette inspiration a ses lois : rien ne serait d’ailleurs plus absurde que de voir dans le génie une sorte de monstruosité psychologique. La plus haute expression du génie se manifeste dans l’art : le génie s’achève dans l’âme du grand homme. Mais, pour arriver jusqu’à elle, combien de métamorphoses n’a-t-il point traversées ! M. Séailles nous dira le secret de ces métamorphoses ; il nous fera, selon un terme à la mode, la psychogénie du génie.