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revue générale. — sur le socialisme contemporain

cord ; ce sont les croyances qu’il faut d’abord accorder. Voilà pourquoi les seules cités communistes qui aient pu vivre, éparses dans l’Amérique du Nord, sont essentiellement bibliques, ainsi que les associations peut-être les plus florissantes de ce continent, par exemple l’association américaine des conducteurs de locomotives, qui compte 14,000 membres et où la bible est posée sur la table du conseil. Dans la mesure où sa foi chrétienne le lui permettait, ou le lui conseillait, le moyen âge a eu son socialisme à lui, la vie monastique. On sait de quel attrait contagieux elle subjugua les cœurs. Des milliers d’hommes mettaient avec joie leurs forces et leurs biens en commun ; pour-quoi ? Pour acquérir, à travers les prescriptions minutieuses de la règle, une plénitude de bonheur mystique et mal défini. C’est à l’image de ce grand modèle, le monastère, que se formaient ensuite — comme le remarque fort bien M. Masseron après Bonnemère dans son Histoire des paysans, — les associations agricoles de serfs, si fréquentes alors, et même les corporations industrielles, véritables confréries, Les communautés aux buts positifs n’ont été que la copie, pâle et affaiblie, des communautés aux buts transcendants. — Et maintenant, n’assistons-nous pas à un spectacle analogue ? Quand de vraies associations de personnes se sont formées dans les temps nouveaux, elles ont toujours été comme dans le passé, des conspirations d’âmes et de volontés et non pas seulement des collaborations matérielles ; elles ont toujours eu soit, comme nous venons de le dire plus haut, une foi religieuse commune, soit un grand but patriotique ou politique à réaliser, un programme vague et vaste à appliquer, quelque chose d’inaccessible à atteindre : le jacobinisme, le carbonarisme, le saint-simonisme, le nihilisme, etc. Toutes les sociétés qui naissent sans afficher de telles prétentions, ou les dissimulent, ou ne vivent pas. Je parle, bien entendu, des sociétés d’hommes, simples cercles même ou sociétés savantes parfois, non des sociétés de capitaux ; et cependant, que de sociétés anonymes même et précisément les plus florissantes, sont suspectes à bon droit d’arrière pensée politique ! Le succès inouï de l’Internationale lui vient de la déviation de son but primitif apparent qui paraissait beaucoup moins ambitieux. On dit bien que les trades-unions anglaises ne font pas de politique, libre à qui voudra de le croire ; mais la vérité est qu’à cette immense confrérie d’ouvriers les patrons en ont opposé une toute semblable le Lock-out, que ces deux géants dont le second à fini par triompher momentanément se sont longtemps battus à grands coups de grèves (V. M. Masseron), et qu’à ces colossales batailles rangées on ne saurait refuser le nom de guerre sociale. Éclairés par de tels précédents nous pouvons prédire à M. Masseron le sort probable de ces associations en participation des ouvriers aux bénéfices des patrons, dont il nous vante les bienfaits futurs et les rares exemples actuels, assez encourageants en apparence de laisse de côté l’objection capitale : si les ouvriers participent aux bénéfices, il faudra bien aussi qu’ils participent aux pertes. Supposons ce terrible écueil écarté. De deux choses l’une : ou une foi