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revue générale. — sur le socialisme contemporain

devaient tomber par elle. » Quoique la répression ait été terrible, « la propagande socialiste a partout recommencé son travail souterrain, et elle à surtout recruté beaucoup d’adhérents dans les campagnes de l’Andalousie, parce que les griefs agraires y sont les mêmes qu’en Irlande. La découverte récente (février 1883) de la société secrète la Mano negra a fait connaître le but poursuivi par les anarchistes. On a relevé plus de 14 sentences de mort prononcées par le tribunal de la Mano negra et mises à exécution de la même manière que les assassinats agraires en Irlande. On prétend que dans l’Andalousie et dans les provinces limitrophes d’Estramadure, de Jaen et de Murcie, sans compter le reste de l’Espagne, il y a 130 fédérations avec 340 sections et 42,000 affiliés dans les campagnes. »

II

La question agraire n’est donc pas close ; mais, on doit s’en apercevoir, c’est surtout dans les pays plus agricoles qu’industriels que la question sociale affecte cette forme un peu surannée. Partout ailleurs, le socialisme actuel se présente sous un vêtement nouveau, tout autrement caractéristique. La même cause, l’industrie, qui a soufflé sur la première apparence de ce Protée, l’a fait apparaître sous ce déguisement inattendu et plus redoutable. C’est le progrès industriel, depuis trois siècles au moins, qui a fait la puissance du capital ; et, comme la formation des capitaux n’a longtemps servi qu’à acquérir des terres, c’est l’accroissement du capital qui a fait en France la multiplicité croissante et l’inégalité décroissante des propriétés. Or, quand presque tout le monde possède un champ pas trop inférieur à celui du voisin, presque personne ne se prend à rêver sérieusement le communisme immobilier. Mais le capital, en continuant à s’accroître, car il est indéfiniment extensible, à la différence du sol qui est limité et qui n’est pas indéfiniment défrichable, a produit de nos jours une inégalité urbaine de fortunes mobilières plus grande encore, mais, heureusement, moins apparente, moins blessante aux yeux, que l’inégalité rurale si fort amoindrie par lui. Comment atténuer à son tour cette nouvelle disproportion ? Comment abattre la féodalité industrielle et financière qui surgit maintenant et que prédisait Fourier dès 1808 ? Les utopies des socialistes contemporains, dont M. de Laveleye nous raconte la biographie mouvementée, depuis les abstractions du ténébreux Karl Marx jusqu’aux déclamations du beau Lassalle, fatal au cœur des comtesses allemandes, sont des réponses à ce problème. Elles tendent toutes à ce qu’on pourrait appeler le communisme mobilier. En quoi du reste elles ne répondent pas à la question ; car il s’agit d’égaliser les parts, non de supprimer le partage.

Je ne saurais concéder à M. de Laveleye que la prépondérance du capital, « le régime capitalistique » dans notre société actuelle explique