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d’après cet écrivain, « Le bien-être est réel et général. L’instruction est répandue dans toutes les classes. » Aussi les socialistes ont-ils là peu de succès, et ils écrivent dédaigneusement : « Il se montre de plus en plus que la Norwège est un champ très ingrat pour les tentatives d’amélioration du sort de l’humanité. » La Suisse et la Belgique, de même, et pour la même cause. L’Italie et l’Espagne, à la bonne heure, voilà des terrains de promission, comme la Russie. En Italie, « chose exceptionnelle en Europe, sauf peut-être en Espagne, le socialisme envahit les campagnes. » Il s’y est formé « un prolétariat rural plus misérable que celui de l’industrie… Le danger deviendrait sérieux le jour où les idées de bouleversement seraient portées dans les régiments par les fils des campagnards. » — « À chaque instant éclatent, au nord comme au midi, de petites insurrections agraires, où le sang coule. En 1880, celle de Calatabiano, en Sicile, menaçait de s’étendre. » Le clergé s’y associe parfois ainsi que les autorités municipales. « À San Nicandio et à Lezina (dans la Pouille, même date) les maires poussent les paysans à se partager les terres. » Si telles sont les campagnes, que penser des villes ! Fondées d’abord par Mazzini, les sociétés ouvrières italiennes ont pullulé ensuite sous l’inspiration dominante ou exclusive de Bakounine, l’apôtre du nihilisme, de la pandestruction. En 1863, on en comptait 453 avec 111,608 membres, et en 1875, plus : de 1,000 avec environ 200,009 affiliés. » En 12 ans leur importance a doublé, et grandit toujours : « On peut affirmer qu’il en existe dans presque toutes les villes. » Elles sont reliées entre elles, organisées et centralisées. Par bonheur, il manque à ce peuple révolutionné une capitale révolutionnaire.

Voyons l’Espagne. En 1873, l’Internationale y comptait 300,000 affiliés, tous ralliés à Bakounine et rêvant de rééditer avec amplification la Commune de Paris, « En Andalousie, dans l’Estramadure et dans la province de Badajoz, les paysans commençaient à opérer le partage des terres. » — « Le 12 juillet, éclate la grande insurrection de Carthagène, Des matelots et les soldats de marine fraternisent avec les socialistes. Les vaisseaux cuirassés tombent entre leurs mains. Le général Contreras se met à leur tête et bombarde la ville d’Almeria. Il se serait probablement emparé des autres ports de mer sans l’intervention des flottes étrangères. Cadix, Murcie, San Fernando, Valence, Salamanque adhèrent au mouvement cantonaliste. Il semble sur le point de triompher partout. Mais ces révolutionnaires qui proclamaient l’anarchie

    même, ou pour les grands États protégés exceptionnellement par leur position géographique, tels que l’Angleterre ou les États-Unis, le libéralisme ou l’égalitarisme sont un équilibre assez instable, qui ne paraît pas devoir les garantir longtemps contre les menaces du socialisme d’État. On peut lire au sujet des dangers que court actuellement le parlementarisme belge un article intéressant de M. Cherbuliez, dans la Revue des deux mondes, du 1er décembre 1883 ; et on n’apprend pas sans surprise qu’aux États-Unis, l’ouvrage de M. Henry George, concluant à la suppression de la propriété foncière, a eu le plus grand succès. (V. une étude de M. Charles Gide à ce sujet, Journal des économistes, mai 1883.)