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que l’alternance porte sur le caractère, sur ce qu’il a de plus intime dans la personnalité et qui exprime le plus profondément la constitution individuelle. (Cas d’Azam, de Dufay, de Camuset.)

Ici encore diverses formes dans ce type d’alternance. Tantôt les deux personnalités s’ignorent réciproquement (cas de Macnish). Tantôt l’une embrasse toute la vie, l’autre n’étant que partielle : tel est le cas d’Azam. Enfin dans ce cas qui est le plus instructif puisqu’il embrasse aujourd’hui une période de vingt-huit ans, on voit la deuxième personnalité empiéter constamment sur la première, qui, très longue à l’origine, est peu à peu devenue de plus en plus courte, en sorte qu’on prévoit une époque où la seconde subsistera seule. Il semblerait donc que cet état d’alternance, quand il se prolonge, a une tendance fatale à se réduire au premier type, occupant ainsi une position intermédiaire entre l’état normal et l’aliénation complète de la personnalité.

3o Le troisième type est plus superficiel : je l’appellerai une substitution de la personnalité. Je rapporte à ce type le cas assez vulgaire où l’individu croit simplement avoir changé de personnage (l’homme que se dit femme, le chiffonnier qui se croit roi, etc.). Le cas de Billod peut servir de modèle pour toute cette classe. Elle est plutôt psychique, au sens étroit du mot, qu’organique. Non que je suppose un instant qu’elle naisse et dure sans conditions matérielles. Je veux dire seulement qu’elle n’est pas causée et soutenue, comme dans les deux groupes précédents par une modification profonde du sens du corps qui entraîne avec elle une transformation complète de la personne. Elle vient du cerveau non de l’intimité de l’organisme : c’est un désordre plutôt local que général, — l’hypertrophie d’une idée fixe qui rend impossible la coordination nécessaire à la vie normale de l’esprit. Aussi tandis que dans l’aliénation et l’alternance de la personnalité, tout conspire et consent à sa manière, présente l’unité et la logique intérieure des composés organiques, ici il n’est pas rare que celui qui se dit roi avoue qu’il a été ouvrier, et le prétendu millionnaire qu’il gagnait deux francs par jour. Même en dehors de ces cas où l’incoordination est palpable, on voit bien que l’idée fixe est une excroissance maladive qui ne suppose en rien la transformation totale de l’individu.

Cette classification qui va des formes les plus graves aux plus lé gères, n’a pas la prétention d’être rigoureuse. Elle ne sert qu’à mettre un peu d’ordre dans les faits, à montrer combien ils sont dissemblables, surtout à faire voir une fois de plus que la personnalité a ses racines dans l’organisme, varie et se transforme comme lui.

Il nous reste à étudier les conditions intellectuelles de la personnalité et leurs anomalies.

Th. Ribot.