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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

ces dernières, les « portions transitives », sont presque toujours oubliées. — Il nous semble que c’est là une autre forme de notre thèse, celle de la continuité des phénomènes psychiques, grâce à un substratum profond, caché, qui doit être cherché dans l’organisme. En vérité, ce serait une personnalité bien précaire que celle qui n’aurait d’autre base que la conscience, et cette hypothèse se trouve en défaut devant les faits les plus simples, pour expliquer, par exemple, comment après six ou huit heures d’un profond sommeil, je me retrouve moi-même sans hésiter. Mettre l’essence de notre personnalité dans un mode d’existence (la conscience) qui s’évanouit pendants un tiers au moins de notre vie est une solution singulière.

Nous soutenons donc ici, comme nous lavons fait ailleurs pour la mémoire, qu’il ne faut pas confondre l’individualité en elle-même, telle qu’elle existe à titre de fait, dans la nature des choses, avec l’individualité telle qu’elle existe pour elle-même, grâce à la conscience (personnalité). La mémoire organique est la base de toutes les formes les plus hautes de la mémoire qui ne sont qu’un perfectionnement. L’individualité organique est la base de toutes les formes les plus hautes de la personnalité qui ne sont qu’un perfectionnement : je répéterai pour la personnalité comme pour la mémoire, que la conscience la complète, l’achève, mais ne la constitue pas.

Quoique, pour ne pas allonger ces considérations déjà trop longues, je me sois rigoureusement interdit toute digression, critique des doctrines adverses, exposition des points de détail, j’indiquerai pourtant en passant une question qui se pose assez naturellement. On a beaucoup discuté pour savoir si la conscience de notre identité personnelle repose sur la mémoire ou inversement. L’un dit : Il est évident que, sans la mémoire, je ne serais qu’un présent sans cesse renouvelé, ce qui coupe court à toute possibilité, même la plus faible, d’identité. L’autre dit : Il est évident que, sans un sentiment d’identité qui les relie entre eux, qui leur imprime ma marque, mes souvenirs ne sont plus miens ; ce sont des événements étrangers. Ainsi donc, est-ce la mémoire qui produit le sentiment de l’identité ou le sentiment de l’identité qui fait la mémoire ? Je réponds : ni l’un ni l’autre ; les deux sont des effets dont la cause doit être cherchée dans l’organisme ; car, d’une part, son identité se traduit par cet était subjectif que nous appelons le sentiment de l’identité personnelle ; et, d’autre part, c’est en lui que sont enregistrées les conditions organiques de nos souvenirs. Il est vrai que, à ce compte, c’est bien l’identité qui serait fondamentale, mais à la condition d’entendre celle du corps et non le sentiment que nous en avons.