Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

rielle qui maintient l’identité personnelle au milieu des perpétuels changements et des hasards de structure, je répondrai : que les autres personnes qui m’ont connu depuis ma jeunesse jusqu’à mon âge actuel, qui n’ont pas cette certitude consciente de mon identité que j’ai moi-même, en sont néanmoins aussi Convaincues que moi, quand même elles me tiendraient pour le plus grand menteur du monde et qu’elles ne croiraient pas un mot de mon témoignage subjectif ; qu’elles sont également convaincues de l’identité personnelle de leurs chiens et de leurs chevaux dont le témoignage subjectif est nul en l’espèce ; enfin que, en admettant en moi une substance immatérielle, il faut admettre qu’elle a subi tant de changements que je ne suis pas sûr qu’il en reste la moindre chose de ce qu’elle était il y a trente ans ; en sorte que, avec la meilleure intention du monde, je ne vois pas quel besoin on a ou quel bénéfice on tire de l’entité supposée, superflue à ce qu’il semble[1]. »

C’est encore sur cette base physique de l’organisme que repose, d’après notre thèse, ce qu’on appelle l’unité du moi, c’est-à-dire cette solidarité qui relie les états de conscience, l’unité du moi et celle d’un complexus, et ce n’est que par une illusion métaphysique qu’on lui accorde l’unité idéale et fictive du point mathématique. Elle consiste non dans l’acte d’une « essence » prétendue simple, mais dans une coordination des centres nerveux qui représentent eux-mêmes une coordination des fonctions de l’organisme. Assurément, nous sommes ici dans les hypothèses, mais du moins elles n’ont aucun caractère surnaturel.

Prenons l’homme à l’état fœtal, avant la naissance de toute vie psychique : laissons de côté ces dispositions héréditaires déjà inscrites en lui d’une manière quelconque et qui entreront en jeu plus tard. À une époque incertaine, au moins dans les dernières semaines, une sorte de sens du corps doit s’être produit, consistant en un vague sentiment de bien-être ou de malaise. Si confus qu’on le suppose, il implique certaines modifications dans les centres nerveux, autant que leur état rudimentaire le comporte. Quand des sensations de cause externe (objectives ou non) viennent plus tard s’ajouter à ces simples sensations vitales, organiques, elles produisent aussi nécessairement une modification dans les centres nerveux. Mais elles ne s’inscrivent pas sur une table rase ; la trame de la vie psychique est déjà tissée, et cette trame, c’est la sensibilité générale, le sentiment vital, qui, même en le supposant très vague, forme en définitive, à cette période de la vie, la presque totalité de la conscience. Le lien

  1. Maudsley. Body and will, p. 71.