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Jusqu’ici, nous n’avons pris la question que par son côté négatif. À quelle hypothèse positive sur la nature de la personnalité sommes-nous conduits par les cas morbides ? Écartons de prime abord l’hypothèse d’une entité transcendante, inconciliable avec la pathologie et qui d’ailleurs n’explique rien.

Écartons aussi l’hypothèse qui fait du moi « un faisceau de sensations » ou d’états de conscience, comme on l’a souvent répété après Hume. C’est s’en tenir aux apparences, prendre un groupe de signes pour une chose, plus exactement des effets pour leur cause. De plus si, comme nous le soutenons, la conscience n’est qu’un phénomène indicateur, elle ne peut être un état constitutif.

Il faut pénétrer plus avant, jusqu’à ce consensus de l’organisme dont le moi conscient n’est que l’expression psychologique. Cette hypothèse a-t-elle plus de solidité que les deux autres ? — Objectivement et subjectivement, le trait caractéristique de la personnalité, c’est cette continuité dans le temps, cette permanence relative qu’on appelle identité. On l’a refusée à l’organisme, en s’appuyant sur des raisons trop connues pour que je les répète ; mais il est étrange qu’on n’ait pas vu que toutes les raisons qu’on fait valoir en faveur d’un principe transcendant sont applicables à l’organisme et que toutes les raisons qu’on fait valoir contre l’organisme sont applicables à un principe transcendant. Cette remarque que tout organisme supérieur est un dans sa complexité est aussi vieille au moins que les écrits hippocratiques et, depuis Bichat, personne n’attribue plus cette unité à un mystérieux principe vital ; mais certaines gens font grand bruit de ce tourbillon, de cette rénovation moléculaire continue qui constitue la vie et disent : Où est l’identité ? En fait pourtant, tout le monde croit à cette identité de l’organisme et la constate. Identité n’est pas immobilité. Si, comme le pensent quelques savants, la vie réside moins dans la substance chimique du protoplasma que dans les mouvements dont les particules de cette substance sont animées, elle serait une « combinaison de mouvements » ou une « forme du mouvement » et cette rénovation moléculaire continue serait elle-même subordonnée à des conditions plus profondes. Sans insister, il est évident pour tout esprit non prévenu que l’organisme à son identité. Dès lors, quelle hypothèse plus simple, plus naturelle que de voir dans l’identité consciente la manifestation intérieure de cette identité extérieure qui est dans l’organisme ? « Si l’on vient m’assurer qu’il n’y a pas une seule particule de mon corps qui soit ce qu’elle était il y a trente ans, que sa forme a entièrement changé depuis, qu’il est par conséquent absurde de parler de son identité et qu’il est absolument nécessaire de le supposer habité par une entité immaté-