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profonds et généraux de la sensibilité, la perversion du système nerveux qui se manifeste par la perversion des affections et des haines, par leur incapacité (aux enfants) à se mêler aux jeux ou aux travaux des autres enfants, par l’impossibilité de modifier leur caractère. Ils ne peuvent sentir les impressions naturellement, ils ne peuvent s’adapter aux conditions environnantes avec lesquelles ils se mettent en désaccord et les affections perverties du moi se traduisent par des actes d’un caractère destructeur. L’insensibilité de la peau est le signe extérieur et visible d’un défaut correspondant, intérieur et invisible, comme cela existe dans l’idiotie[1]. »

Nous revenons toujours, fatalement, à l’organisme ; mais cette promenade à travers des faits de tout genre, qui peut paraître monotone, nous montre les variations de la personnalité sous tous ses aspects. Comme il n’y a pas deux cas identiques, chacun offre une décomposition particulière du moi. Les derniers nous montrent une transformation du caractère, sans lésion de la mémoire. À mesure que nous avançons dans notre revue des faits, une conclusion se dégage pour ainsi dire d’elle-même : c’est que la personnalité résulte de deux facteurs fondamentaux, la constitution du corps avec les tendances et sentiments qui la traduisent, et la mémoire.

Si (comme ci-dessus) le premier facteur seul est modifié, il en résulte une dissociation momentanée, suivie d’un changement partiel du moi. Si la modification est assez profonde pour que les bases organiques de la mémoire subissent une sorte de paralysie, restent incapables de réviviscence, la désintégration de la personnalité est complète : il n’y a plus de passé et il y a un autre présent. Alors un nouveau moi se forme, ignorant le premier le plus souvent. Nous en avons des exemples si connus que je me borne à les nommer : la dame américaine de Macnish, le cas du Dr Azam (Félida), le cas du Dr Dufay[2]. Par leur généralité même, ces cas ne rentrent dans aucun compartiment et nous n’avons pas de raison de les mentionner ici plutôt qu’ailleurs, sinon pour faire remarquer que la transition d’une personnalité à l’autre est toujours accompagnée d’un changement de caractère, lié (on n’en peut douter) au changement organique inconnu qui do-

  1. Moreau (de Tours), Psychologie morbide, p. 313. — Maudsley, Pathologie de l’esprit, trad. Germont, pp. 306, 307. — Rendu, Des anesthésies spontanées, p. 60-67.
  2. Pour les observations complètes, voir Taine, de l’Intelligence, t.  I, p. 165. Azam, Revue scientifique, 1876, 20 mai, 10 septembre. 1877, 10 novembre, 1879, 8 mars, et Dufay, Ibid., 15 juillet 1876. En ce qui concerne le rôle de la mémoire dans ces cas pathologiques, nous renverrons à nos Maladies de la mémoire, p. 16 et suivantes.