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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

petite dans la totalité des cas donnés par l’expérience. Par leur rareté, ils sont une exception ; par leur nature, une monstruosité psychologique ; mais les monstruosités ne sont pas des miracles, et il faudrait savoir d’où elles proviennent.

On pourrait essayer plusieurs explications, ce qui signifie d’ordinaire qu’aucune n’est suffisante. J’en ferai grâce au lecteur. La psychologie doit, comme toute autre science, se résigner sur beaucoup de points à une ignorance provisoire et ne pas craindre de l’avouer. Sous ce rapport, elle diffère de la métaphysique, qui se charge de tout expliquer. Les savants qui du point de vue propre de la médecine ont étudié ces êtres étranges, en font des dégénérés. Le curieux pour nous serait de savoir pourquoi la dégénérescence a pris cette forme et non une autre. Il est vraisemblable que l’éclaircissement de ce mystère doit être cherché dans les éléments multiples de l’hérédité, dans le jeu compliqué des influences mâles et femelles qui sont en lutte ; mais je laisse ce soin à des esprits plus clairvoyants et plus heureux. La question des causes écartée, on ne peut guère se refuser à admettre une déviation du mécanisme cérébral, comme dans les cas de Leuret et leurs analogues. Au reste, l’influence des organes sexuels sur la nature et la formation du caractère est si peu contestée qu’insister serait du temps perdu et qu’une explication hypothétique de la sexualité contraire n’avancerait en rien nos recherches.

IV

Les instincts, désirs, tendances, sentiments relatifs à la conservation de l’individu et à celle de l’espèce ont leurs conditions matérielles bien déterminées, les premières dans la totalité de la vie organique, les secondes dans un appareil particulier. Mais, lorsque des formes primitives et fondamentales de la vie affective, on passe à celles qui sont de seconde formation, nées plus tard au cours de l’évolution (tendances sociales, morales, intellectuelles, esthétiques, etc.), outre l’impossibilité de leur assigner des bases organiques immédiates, ce qui nous condamne à tâtonner, on remarque qu’elles n’ont plus le même degré de généralité : sauf peut-être les tendances morales et sociales, aucune n’exprime l’individu dans sa totalité ; elles sont partielles, elles ne représentent qu’un groupe dans l’ensemble de ses tendances. Aussi aucune d’elles toute seule n’a le pouvoir de produire une métamorphose de la personnalité. Tant que cette habitude qu’on