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l’encéphale, puisqu’elles sont senties, et qu’il y ait des centres d’où les incitations psychiques se transmettent aux organes sexuels pour les mettre en action. Ces éléments nerveux, quels qu’en soient la nature, le nombre et le siège, qu’ils soient localisés ou disséminés, sont les représentants cérébraux, et par suite psychiques, de l’organe sexuel ; et comme en naissant ils suscitent d’ordinaire d’autres états de conscience, il faut bien qu’il y ait une association entre ce groupe d’états psychophysiologiques et un certain nombre d’autres. — La conclusion qui s’impose, dans les cas précités, c’est qu’il s’est produit un désordre cérébral de nature inconnue (une femme qui se croit homme, un homme qui se croit femme), dont le résultat est un état de conscience fixe et erroné. Cet état fixe, à prédominance exclusive, suscite des associations naturelles, presque automatiques qui en sont comme le rayonnement (sentiments, démarche, langage, habillement du sexe imaginaire) : il tend à se compléter. C’est une métamorphose qui vient d’en haut et non d’en bas. Nous avons là un exemple de ce qu’on appelle l’influence du moral sur le physique ; et nous essayerons de montrer plus loin que le moi sur lequel ont raisonné la plupart des psychologues (il ne s’agit pas du moi réel) est formé par un procédé analogue. Ces cas, d’ailleurs, appartiennent aux déviations intellectuelles de la personnalité dont nous parlerons dans un prochain article.

Avant de quitter ce sujet, je ne voudrais pas passer sous silence quelques faits d’une interprétation bien difficile, qui ne peuvent cependant être sérieusement invoqués contre nous. Il s’agit de ces cas de « sexualité contraire » déjà rapportés ici (janvier 1884), et qu’il suffira de rappeler en quelques mots. Certains malades observés par Westphal, Krafft-Ebing, Charcot et Magnan, Servaës, Gock, etc., présentent une interversion congénitale de l’instinct sexuel, d’où résulte, malgré une constitution physique normale, une attraction instinctive et violente pour une personne du même sexe, avec répulsion marquée pour le sexe contraire ; plus brièvement, « une femme est physiquement femme et psychiquement homme, un homme est physiquement homme et psychiquement femme. » Ces faits sont en désaccord complet avec ce que la logique et l’expérience nous enseignent. Le physique et le moral se contredisent. À la rigueur, ceux qui font du moi une entité pourraient s’en prévaloir, soutenir qu’ils sont une preuve de son indépendance, de son existence autonome. Ce serait là pourtant une grosse illusion, car toute leur argumentation reposerait sur deux bases bien fragiles : des faits très rares, la difficulté actuelle de les expliquer. Personne ne niera que les cas de sexualité contraire représentent une fraction infiniment