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bien convenir qu’il est pour chacun de nous fort malaisé de savoir si nous ne sommes pas, en telle ou telle circonstance, dupes d’une illusion de ce genre. C’est pourquoi, même dans la science, il ne faut pas être trop absolu : la tolérance et la défiance de soi-même sont dans tous les cas, et à tous les degrés, choses recommandables : il n’y a point d’individus infaillibles. Mais si chacun de nous peut et doit toujours garder quelque réserve à l’égard de ses liaisons d’idées même les plus éprouvées, sa confiance peut être entière quand il voit les autres esprits également cultivés et exercés, tomber d’accord avec lui. L’entente des hommes qui ont fait les mêmes efforts, et soumis leurs pensées aux mêmes épreuves, est l’approximation et la garantie la plus haute que nous puissions avoir de cette nécessité qui s’impose à toute pensée humaine. Le vrai critérium de la vérité dans la science, c’est l’accord des savants, ce qui, bien entendu, est tout autre chose que le consentement universel. On dira peut-être que, même quand ils sont d’accord, les savants peuvent se tromper : il y en a des exemples. Il semble que la vérité définitive recule chaque fois qu’on croit la saisir. Mais quand on accorderait que ni un individu, ni même un groupe considérable de personnes compétentes, ne sont jamais absolument sûrs de posséder sur un point donné, la vérité, il suffit que cette nécessité, égale pour toute pensée humaine, que nous avons prise pour critérium, soit conçue comme un idéal qu’on poursuit toujours, et dont on peut se rapprocher sans cesse. Au surplus, les difficultés de ce genre sont purement théoriques. Dans la pratique on croit, et, dans le sens vulgaire du mot, on est certain, sans faire tant de façons : et on a bien raison. Mais rien peut-être ne montre plus clairement le véritable caractère de l’adhésion que nous accordons, même à celles de nos idées qui semblent s’imposer à nous avec le plus de nécessité : elle est d’ordre essentiellement pratique et subjectif : il faut toujours y mettre un peu de bonne volonté.

II

C’est la nature même de l’acte de croyance qu’il nous reste à présent à déterminer : ici encore nous rencontrons de grandes difficultés.

Généralement, la croyance est regardée comme un acte intellectuel : elle fait en quelque sorte partie intégrante de l’idée. Pourtant il semble bien que croire ou juger soit autre chose que penser. « Qu’est-ce que juger, dit excellemment M. Gayte (p. 104), si ce